West Highland Way, second épisode

4 septembre

Arrivée à Édimbourg. Temps frais et variable. Il va le rester pendant tout mon séjour, avec des températures oscillant entre 5 et 15 degrés. Voyage en car vers Buchanan Station, à Glasgow. Là-bas, j’attends ma correspondance pour Drovers Inn où je reprendrai le cours de ma randonnée le long du WHW. Je me tiens devant un panneau sur lequel est affiché le plan de Glasgow. Un homme portant l’uniforme de la société de transport en car s’approche de moi et me demande si je viens d’Allemagne. Il repère les Allemands aisément, car il a constaté que la plupart d’entre eux portent un sac à dos Deuter. Il prend depuis quelque temps des cours pour apprendre la langue de Goethe, juste comme ça, pour le plaisir.

Transfert en car jusqu’à Drovers Inn. Je retrouve le terrain de camping de Beinglas Farm. Les midges traînent toujours dans le coin. Cependant, leur nombre semble avoir bien diminué par rapport à juin. Des campeurs pour l’essentiel originaires de pays ouest-européens, auxquels s’ajoutent des Tchèques, ont planté leur tente là. C’est la version camping du programme Erasmus, enrichie par la présence de pas mal d’Américains venus tâter du WHW.


5 septembre

Réveil dans la fraîcheur matinale. J’ai eu froid aux pieds la nuit dernière durant laquelle le mercure est tombé à 5 degrés. Va falloir trouver une solution à ce problème. Je me paie un Scottish breakfast roboratif en compagnie de deux jeunes Italiens sur le chemin du retour à Brescia. Je suis en forme et prêt à en découdre avec la route. Elle me mènera aujourd’hui à Tyndrum, 19 km plus au nord.

J’entre enfin dans la région des Highlands telle qu’on la voit en photo dans les guides touristiques. Les arbres se raréfient. La terre ne laisse pousser que de l’herbe, de la bruyère et quelques conifères. Partout, des collines et des montagnes arrondies qui atteignent environ mille mètres d’altitude. Le tracé du chemin épouse le plus souvent le lit de vallées en auge. J’avance en longeant ces grands ballons de terre et de roche. De temps en temps, la perspective s’ouvre sur d’autres vallées, sur des plaines où le regard porte loin. Et partout, de l’eau, des lochs plus ou moins vastes, des torrents plus ou moins larges. Ces derniers sont comme des petits fils blancs zébrant les pentes jaunes, vertes et noires. Lorsqu’ils croisent le chemin, leur cours sature d’eau la tourbe sombre où les chaussures du randonneur s’enfoncent. Les lochs présentent un visage dont les traits varient selon les humeurs du ciel. Celui-ci domine le décor dans tous les sens du terme, il donne le la et tout le reste en découle. Cependant, le ciel écossais est extrêmement capricieux. Les randonneurs du WHW font très vite l’expérience des quatre saisons condensées en un seul jour. Les précipitations sont très localisées, je vois parfois la pluie s’abattre à quelques centaines de mètres de moi, puis au gré du vent s’éloigner ou bien venir balayer la zone où je progresse. Sur le chemin, j’engage la conversation avec un petit groupe d’Écossais venus marcher tout le long du WHW pour fêter les soixante ans de l’une d’entre eux. Je vais les revoir quotidiennement jusqu’à samedi, à un moment ou l’autre de la journée.

Arrivée à Tyndrum sous la pluie. Installation de la tente sur le terrain de camping du By the Way Hostel and Campsite, dîner seul dans un petit café-restaurant et achat de chaussettes épaisses pour ne plus avoir froid aux pieds. Il pleut abondamment et cela va durer toute la nuit. De retour au camping, je m’assois à une table placée sous un préau. Une dizaine de personnes sont aussi là, à l’abri des intempéries. Certaines se font leur popotte. Je reconnais des visages déjà aperçus hier. On fait connaissance, on parle du chemin, de son coin d’origine, de choses diverses et variées. Je rencontre pour la première fois Andreas, Vickie, Olie, Bernhard, Denise, Marion, Arnaud, Albrecht, Stefan et d’autres encore. Nous allons former une petite communauté de randonneurs qui se reverront chaque jour jusqu’au bout pour marcher, converser, boire un coup et manger ensemble. Sur le WHW, c’est comme au Liverpool FC : “You’ll never walk alone”.

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6 septembre

Au programme du jour, l’étape la plus longue de la semaine : 28 km depuis Tyndrum, en passant par Bridge of Orchy, puis par les tourbières de Rannoch Moor, jusqu’au camping du Glencoe Mountain Resort. Je parcours des territoires majestueux, où le regard se perd dans l’horizon lointain. Quelques moutons à la tête noire paissent çà et là dans ce vaste décor, ainsi qu’une poignée de vaches au long poil roux. Le sol tourbeux est gorgé d’eau. Rien ne bouge sur les lochs. Juste quelques ridelles se propagent au gré du vent sur leur surface. Le chemin est en revanche très fréquenté. Je ne m’y attendais pas à cette période de l’année. Cela cause parfois un peu de gêne quand je double une personne qui me redépasse cent mètres plus loin, au moment où je prends une courte pause pour contempler le paysage. Je fais un bout de route avec Vickie et Olie, deux charmantes Pragoises étudiantes en médecine. Aussi, avec Andreas qui travaille aux impôts du côté de Lüneburg. Et encore avec Denise et Bernhard, des anars écolos viennois. Dans l’ensemble, nous avons droit aujourd’hui à de belles éclaircies qui illuminent la lande et les sommets. Une poignée de rayons traversent de temps à autre un trou dans les nuages et viennent frapper une pente verte. Alors, les torrents blancs se mettent à briller intensément. Les nuages en constante recomposition produisent un spectacle fascinant. Ils se font et défont. Enfin, ils s’amassent en un épais bloc gris foncé, le brouillard nous enveloppe et les gouttes de pluie commencent à tomber.

J’arrive sous des trombes d’eau à Glencoe, un des hauts lieux du WHW. Mauvaise surprise pour les gens sans réservation, dont je ne fais pas partie : le terrain de camping affiche complet. Tous mes camarades randonneurs devront s’installer plus bas dans la vallée, à proximité d’un hôtel fermé cette année pour cause de travaux. Seule Vickie, qui a le caractère bien trempé, décide quand même de planter en douce la tente qu’elle partage avec Olie à quelques pas de la mienne. Nous mangeons ensuite tous les trois au resto du camping. Nous apprenons à mieux nous connaître. Un vrai bon moment passé ensemble. Puis, alors que le soleil se couche, nous assistons à un phénomène comme j’en ai vu rarement, une sorte d’apparition. Le genre de chose à vous faire croire aux fées et aux elfes censés peupler ces contrées du Nord-Ouest. Je me souviens d’avoir vu dans le temps avec Élisabeth et les enfants un arc-en-ciel complet, gigantesque, à une vingtaine de kilomètres au sud d’Aurillac. Il occupait tout l’espace, d’un bout à l’autre de l’horizon. Cette fois-ci, à Glencoe, un amas nuageux flotte à basse altitude au-dessus d’une large vallée située à quelques encablures de nous. À travers la grande baie vitrée du restaurant, on distingue nettement les fils de pluie arrosant toute la zone. Puis, le soleil se glisse derrière une montagne et ce faisant, envoie ses rayons à l’horizontale frapper les gouttes s’abattant sur le sol. Cela ne produit pas d’arc-en-ciel, mais plutôt une fulgurance, un halo éblouissant, mouillé, jaune et orange. La scène dure autour de dix minutes. Plein de gens interrompent leur dîner pour se rendre dehors et admirer ce spectacle inoubliable.

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7 septembre

Seulement 16 km à avaler aujourd’hui. Autant dire : du nanan. Une agréable journée de promenade avec le Blackwater Hostel de Kinlochleven en ligne de mire. J’avance dans une large vallée en U. Le paysage est somptueux, mais la présence trop insistante d’une route à quelques centaines de mètres du chemin gâche en partie le plaisir. Tout un tas de véhicules roulent bruyamment sur la longue bande de bitume. Par moments, le moteur pétaradant d’une moto fait vibrer l’air, la végétation, tout le décor. Ce matin, il y a pas mal de trafic sur le sentier aussi. Un long convoi de randonneurs plus ou moins dense progresse sans hâte sur un terrain relativement plat à flanc de montagne. Au bout de 5 km environ, le chemin se colle à la route juste avant de la quitter abruptement en obliquant plein Nord. À cet endroit de dernier contact, une perspective s’ouvre dans la direction opposée sur une très belle vallée isolée, verte, large, sans rien, ni route, ni chemin, et gardée en son entrée par des montagnes de forme triangulaire.

Maintenant commence l’ascension de Devil’s Staircase. Ce secteur a été autrefois aménagé avec des morceaux de roche en guise de pavés pour faciliter le passage des gens. Et autant que je sache, le tracé du WHW épouse pour l’essentiel celui de voies empruntées jadis par les militaires, les commerçants, paysans, voyageurs, etc. Bref, il s’agissait de l’axe principal de communication qui tomba en désuétude une fois que fut achevée la construction de l’infrastructure routière et ferroviaire. La montée de Devil’s Staircase s’avère facile, malgré un nom propre à éveiller les craintes du randonneur. Arrivée tranquille en milieu d’après-midi dans le petit village de Kinlochleven. À l’entrée, sur la droite, le terrain de camping du Blackwater Hostel. Bernhard et Denise y ont déjà pris leur quartier. Cette dernière me dit qu’ils ont réservé une petite place pour ma tente juste à côté de la leur. Sympa.

Peu de temps après, on se retrouve à la terrasse du Highland Getaway Inn. Nous voici partis pour une soirée qui s’annonce assez arrosée, surtout pour Bernhard. Je converse un bon bout de temps avec lui. Un jeune Viennois au caractère bien trempé, fils de tenanciers de bar, il fume et boit un peu trop, en tout cas ce soir-là. C’est un grand lecteur féru de philosophie qui, selon ses dires, aurait pu s’intégrer dans le “système” en prenant le chemin des études de troisième cycle, mais qui au final a préféré devenir moniteur d’escalade plutôt que disons, ingénieur en informatique. Il aime transmettre sa passion et son savoir-faire, particulièrement aux gamins. Anti-conservateur, anti-libéral, et en conséquence fort mécontent de la situation politique actuelle en Autriche, il considère que la mentalité Red Bull, cette obsession pour la performance associée aux sports extrêmes, c’est quand même de la bonne grosse connerie. Sur ce point-là, je le rejoins sans hésiter et trinque avec lui pour marquer mon approbation. Son côté grande gueule lettrée me rappelle Roland, mon collègue d’antan à l’institut universitaire de recherche. Ces deux-là appartiennent à cette race d’individus qui arrivent à rester intéressants dans la conversation alors que les grammes d’alcool s’accumulent inlassablement dans leur circulation sanguine. C’est remarquable. Au cours de la soirée, j’ai aussi l’occasion de causer avec des gens plus modérés question picole et vision du monde, et au demeurant bien sympathiques : Albrecht et Stefan, deux étudiants en médecine à Magdeburg, Andreas, mon copain des impôts, et enfin Arnaud et sa grande soeur Marion, des jeunes Français avec qui je ferai plus ample connaissance une fois arrivé à Fort William.

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8 septembre

Dernière journée de marche. 24 km à parcourir jusqu’à une borne située à côté d’un pub à Fort William. Elle marque le point final du WHW, un chemin long de 154,5 km. Tout en progressant dans une large vallée en U, une de plus, je discute avec un Gallois d’une soixantaine d’années. Dans notre petite communauté de randonneurs, on en trouve certains qui laissent une société de transport transférer leurs bagages vers l’étape suivante. Il y en a aussi qui ont réservé leur nuitée dans une chambre cosy. Et puis, on compte ceux qui portent tout leur barda et dorment sous la tente. Le marcheur du Pays de Galle fait partie de cette espèce-là. Je l’avais déjà repéré quelques jours plus tôt en pleine discussion avec un gars de Rotterdam. Le Brexit l’exaspère. Il racontait que l’ex-ministre Boris Johnson s’était fait autrefois virer du Times, car il avait bidonné des articles. Je ne savais pas que ce Trump à la mode anglaise avait été journaliste. À propos du portage de tout le barda sur les épaules, j’ai croisé des gens cette semaine avec, selon moi, un sac à dos bien trop rempli. Vickie et Olie estiment par exemple qu’elles trimballent une charge de 20 kg chacune depuis le début de leur périple. Quant à moi, je suis fort satisfait d’avoir minimisé le poids de mes affaires à environ 8 kg.

Nous nous approchons d’une maison en ruine. La vie a dû être rude jadis pour les paysans du coin. Çà et là, des moutons épars sur le flanc des montagnes. La vallée fait un coude à droite. Le chemin va bientôt descendre vers la destination finale du WHW. Soudain, un homme surgit devant moi en courant dans la direction opposée. Il est maigre. Un de ses genoux saigne légèrement. Il porte un dossard numéroté et un sac “camelback”. Ses traits sont tendus par l’effort. Plein d’autres le suivent depuis Fort William, en se déplaçant à un rythme plus ou moins soutenu, voire tout simplement en marchant. Tous ces sportifs participent à la Coast to Coast Rat Race, qui combine course à pied, en vélo et en kayak à travers les Highlands. Je repense à cette mentalité “Red Bull”, au goût pour l’extrême et la performance – un truc qui attire notamment des quarantenaires voulant se prouver qu’ils restent au top de leur forme -, et je me demande si cette course de rats ne rentre pas aussi dans la catégorie de ces sports un peu à la con. À plusieurs reprises, je dois me mettre de côté pour laisser passer les athlètes. Certains sont polis et souriants, et d’autres pas du tout. Au passage, je me souviens d’avoir lu quelque part un petit article de journal rapportant qu’un ultramarathonien a parcouru en 2017 les 150 et quelques kilomètres du WHW en moins de 14 h.

Je longe le Ben Nevis dont le sommet arrondi est plongé dans les nuages. Il pleut en cette fin d’après-midi. Les prévisions météo pour le temps de demain au sommet du Ben Nevis sont mauvaises : visibilité nulle et température autour de 3 degrés. Mon projet d’ascension du point culminant de la Grande-Bretagne me paraît fort compromis. Quelques uns de mes camarades de route plantent leur tente sur le terrain de camping situé 4 km avant Fort William. Ils atteindront le but de la randonnée demain. Quant à moi, je poursuis jusqu’au bout. Je passe devant des azalées qui me rappellent celles vues juste après Milngavie, au mois de mai dernier. Des grosses gouttes d’eau dégoulinent sur leurs feuilles vert sombre. Ça y est ! Voici l’arrivée. Elle se compose en fait de deux parties : une ancienne borne à l’entrée de Fort William et la nouvelle positionnée avantageusement au bout de la zone piétonne et commerçante du centre-ville. J’atteins la première borne avec une demoiselle américaine à la tête rasée et tatouée, accompagnée d’une dame beaucoup plus âgée. La jeune femme termine la course sur une patte, la deuxième étant strappée et raidie depuis plusieurs jours déjà. Elles se sert de ses bâtons de randonnée comme s’il s’agissait de béquilles. Nous nous félicitons mutuellement. Je traverse ensuite la zone piétonne pour rejoindre la deuxième borne qui marque depuis quelques années le point final officiel du WHW. À cet endroit-là se dresse un panneau à côté d’un banc. Et sur ce dernier est assis un bonhomme en bronze, chauve, souriant, une jambe posée sur l’autre. Qui ça peut bien être ? Aucune idée. Je m’assied à sa gauche et lui tape sur l’épaule. Puis, une dame me photographie avec mon smartphone.

Et juste là, au bord de la placette, un pub, le Wetherspoon ! Impossible de ne pas s’y rendre. Je pousse la porte et retrouve à l’intérieur tout un tas de gens croisés à de multiples reprises cette semaine, qui ont constitué avec moi notre petite communauté de marcheurs. Nous voici arrivés enfin au but. Là encore, nous nous félicitons mutuellement, puis buvons un coup ensemble. Un vrai beau moment de joie partagée que nous tentons de prolonger un peu, en sachant qu’il va bien falloir se séparer pour de bon, abandonner le rythme de la randonnée et laisser l’euphorie s’estomper pour vaquer à nouveau à nos préoccupations quotidiennes respectives. Je me rends ensuite au Bank Street Lodge, un petit hôtel honnête qui propose des chambres pas chères, une denrée rare à Fort William. À partir de ce soir, c’en est fini des nuits passées sous la tente. Je me regarde dans le miroir de la salle de bain. J’arbore une barbe de plusieurs jours. Pas mal de piqûres de midges émaillent mon front. Ces saloperies de mouches voraces ne m’ont pas épargné. Après un repas avalé rapidement dans ma chambre, je ressors. C’est samedi soir. Le bitume mouillé de la zone piétonne réfléchit la lumière chaude des pubs. Je retourne au Wetherspoon pour retrouver d’autres randonneurs.

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9 septembre

Mes compagnons de voyage qui ont passé la nuit sur un terrain de camping à 4 km de Fort William me rejoignent ce matin devant le banc qui marque la fin du WHW. Nous prenons le petit déjeuner au Wetherspoon et devisons tranquillement dans les effluves de café et de Scottish breakfast. Dehors, il pleut. Le temps va demeurer ainsi une bonne partie de la journée. Pas la peine d’espérer gravir aujourd’hui les pentes du Ben Nevis. Le musée local sur la vie dans les Highlands est fermé le dimanche. Il reste l’option d’un voyage d’une demi-heure en train jusqu’à Glenfinnan où se trouve un petit viaduc devenu célèbre depuis que le Hogwarts Express roule dessus dans les aventures filmées de Harry Potter. J’arrive à convaincre mes copines tchèques Vickie et Olie d’aller faire un tour là-bas pour se promener dans le coin, prendre des photos et visiter un petit musée. Et tant pis s’il ne s’agira pas du train à vapeur du film, qui de toute façon affiche déjà complet pour la journée. À la gare de Fort William, nous disons adieu à Stefan, Albrecht et Andreas qui prennent le bus vers Glasgow, tandis que Vickie, Olie et moi embarquons dans un petit tortillard composé de deux wagons.

À Glenfinnan, nous mitraillons le viaduc à tour de bras. Nous sommes aussi à nouveau les témoins d’une de ces “apparitions” déjà observée à Glencoe. Cette fois-ci, de l’autre côté d’un loch, les rayons du soleil frappent en plein coeur une averse transfigurée en halo blanc intense. À la fin de notre balade, nous déjeunons dans un wagon à l’ancienne parqué à côté de la gare et recyclé en petit restaurant. Je discute avec les deux jeunes étudiantes en médecine de Prague. Elles sont charmantes. Vickie a un caractère bien trempé et l’esprit volontaire tandis qu’Olie fait preuve de plus de sagesse et de diplomatie. Elles font bien la paire.

De retour à Fort William en fin d’après-midi. Là aussi est venu le temps des adieux avec mes deux amies tchèques, qui prendront demain la route d’Inverness, alors que je grimperai dès 7 h 00 dans le bus pour Glasgow. Voilà, fin du compagnonnage. J’ai encore prévu de voir Arnaud et Marion dans la soirée au Wetherspoon et ensuite, je me trouverai à nouveau seul. Vers 20 h 30, je vais pour la dernière fois au pub. Il pleut sur la zone piétonne de Fort William. Je déambule lentement sur le pavé mouillé dans un centre-ville quasiment désert. Mes vêtements me protègent efficacement du mauvais temps. Je me sens bien. J’aime la pluie, cette douche écossaise de fin d’été. Elle est un élément constitutif de cette contrée et de sa culture.

Arnaud et Marion sont sympa. Sur le chemin, j’ai côtoyé des gens de tous âges. Dans le cas présent, c’est moi le plus vieux. Arnaud – vingt ans, une gueule d’acteur – a trimballé tout le long du WHW son skate board ! Je me demande s’il n’a pas accompli par là-même une première mondiale. Il a stoppé ses études à l’université et cherche visiblement sa voie. C’est peut-être en partie pour ça qu’il a accompagné sa soeur aînée sur le WHW, Marion, une jeune maman de 28 ans portant des grandes lunettes rondes à la Harry Potter. Elle me semble aussi en quête d’un second souffle, suite à un divorce qui a singulièrement compliqué sa vie, la forçant à se réorienter professionnellement et à trouver un modus vivendi pour assurer l’éducation de son enfant. Maintenant, elle étudie la philosophie à distance et travaille entre-temps comme ouvrière agricole dans le domaine viticole de ses parents. Leur voyage en Écosse à la mode routarde (camping sauvage, minimisation des coûts) leur sert en quelque sorte à ouvrir en grand la fenêtre pour faire entrer de l’air frais dans leur existence. Nous passons un bon moment ensemble à tailler le bout de gras. À notre table se trouvent aussi quatre hurluberlus belges d’à peine 18 ans, rencontrés dans le pub. Ils éclusent des bières en quantité appréciable et paient des tournées dans la joie et la bonne humeur. C’est plutôt marrant de se retrouver là avec des jeunots de l’âge de Madeleine. Ces gamins flamands remuants parlent de leur carnaval avec fierté, en long et en large. Ils viennent d’Alost. J’en profite pour leur faire la publicité de celui de Dunkerque. Au passage, je note qu’ils font plus que juste se débrouiller en français. Je peux vraiment converser avec eux comme si j’étais assis en face de Wallons.

Les parents d’Arnaud et Marion élèvent des chevaux et produisent du vin bio dans le Lot-et-Garonne. Leur site web donne envie d’aller à l’occasion faire un tour dans leur domaine : https://mouthes-le-bihan.fr/.

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10 septembre

Debout aux aurores afin d’attraper à 7 h un car en partance pour Glasgow. Pendant le voyage retour, je reconnais assis tranquillement dans mon siège les paysages traversés à pied dans l’autre sens. Correspondance à Glasgow Buchanan pour continuer ma route vers Édimbourg. Une fois arrivé à bon port autour de midi, j’avale un fish and chips au restaurant Olive Branch, puis m’installe dans mon logement, la A Haven Guest House, située dans le quartier de Leith. Je passe l’après-midi dans la Scottish National Portrait Gallery, encore un musée gratuit qui vaut sacrément le détour. Ensuite, balade en ville, sans achat. Il pleut un peu, of course. En début de soirée, dîner dans la chambre devant la télévision. Je vide une conserve de je ne sais plus quoi. Pour une fois, ce n’était pas des baked beans. Petite promenade digestive à la nuit tombée pour m’approcher du yacht royal Britannia, mais la zone d’accès est malheureusement clôturée. Juste à côté, dans un parking réparti sur plusieurs étages, quelques voitures font un bruit du tonnerre. Certaines en déboulent à toute allure et filent sur la chaussée mouillée en s’éloignant dans l’obscurité. Puis, elles reviennent du diable Vauvert et s’engouffrent à nouveau dans le parking. Un véritable manège vrombissant. Ce ballet automobile semble tout droit sorti d’un polar américain.


11 septembre

Un retour sans histoire. Atterrissage à Francfort. Fait chaud ici, entre 25 et 30 degrés ! L’automne attendra… La fraîcheur pluvieuse d’Édimbourg me convenait mieux. Je commence à taper les notes de mon carnet de route dans l’aéroport, en attendant le train pour Stuttgart.

Traversée des Alpes sur le E5

J1 : Oberstdorf – Kemptner Hütte – Holzgau (7 juillet 2017)

Temps variable. Orage de 15 min environ avant d’atteindre la Kemptner Hütte (1845 m). Nous croisons des gens sur le chemin menant au refuge. Au-delà, quasiment plus personne sur le E5. Nous buvons une bière à la Kemptner Hütte. Pas volée, celle-là. Puis, longue montée jusqu’à un col. Beaucoup de torrents. Passage dans le Tyrol à environ 2000 m d’altitude. Longue descente éprouvante de quasiment 3 h jusqu’à Holzgau (1100 m). Là aussi, beaucoup de torrents, de l’eau partout. Passage par un canyon. Chutes d’eau. Pont suspendu haut perché au-dessus de nos têtes. Arrivée à Holzgau. 9 h de marche avec des dénivelés conséquents. Trop pour une première journée. Chambre double et petit-déjeuner pour 28 euros par personne chez Mme Knitel, une gentille dame de 81 ans. Elle est née à Holzgau et a toujours vécu là. La seule fois où elle quitte son village, c’est à l’occasion de la traditionnelle sortie annuelle pour se rendre à Oberstdorf, dans la vallée d’à côté. Elle aime bien bavarder avec les gens de passage. Pas mal de villageois s’appellent Knitel. Je vois ce nom à plusieurs reprises affiché sur des enseignes, sonnettes, etc. Dîner au resto Zum Bären.

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J2 : Holzgau – Memminger Hütte (8 juillet 2017)

Départ à 7 h 50 de Holzgau. Long chemin de 14 km dans la vallée jusqu’à un monte-bouteille dans lequel nous embarquons. Arrivée en haut vers midi. Nous cassons la croûte. Puis, 800 m de dénivelé à franchir jusqu’à la Memminger Hütte située dans un décor idyllique à 2242 m d’altitude. Arrivée à 15 h. Nous devons attendre jusqu’à 18 h pour savoir où nous dormirons, vu que nous n’avons pas réservé. Nous buvons un coup en terrasse. Devant nous, un mur de montagnes majestueuses. Nous papotons avec deux Allemands de la région d’Ulm et un Danois accompagné de son fils de 15 ans. Nous engageons aussi la conversation avec une charmante demoiselle aux longs cheveux blonds originaire de Lindau, qui étudie en Autriche. Son visage me rappelle celui de l’actrice Kirsten Dunst. Elle est accompagnée de son ami, originaire de Turquie. Ils n’ont pas vraiment planifié leur voyage. Heri les conseille un peu. Leur vague projet initial s’en trouve un peu bouleversé. Mais, elle prend tout à la rigolade. Son objectif : se baigner à la piscine de Meran à l’occasion de son anniversaire (promesse faite par le copain) et ils n’ont qu’une poignée de jours devant eux pour l’atteindre. Elle a un côté espiègle désarmant. 18 h 00 sonnent. Nous nous renseignons. Nous avons de la chance, il reste deux places dans le dortoir. Heri va dormir entouré de lycéens qui font un voyage de fin d’année avec deux profs. Ils ont l’air plutôt calme. Le refuge est plein comme un oeuf. Il est difficile de trouver une place pour dîner. Nous nous asseyons à côté d’un petit groupe de volontaires du Deutscher Alpenverein. Ils sont ici pour effectuer des petites réparations dans le refuge. Nous discutons avec un des membres du groupe. Il dit que le E5 est devenu trop populaire. Beaucoup de monde débarque quotidiennement dans le refuge qui n’a plus la capacité d’accueil adaptée. Tous ces gens veulent parcourir le E5, alors qu’il y a plein d’autres chemins moins connus mais tout aussi jolis pour traverser les Alpes. Ce soir, il pleut dur et dru. Le temps variable qui règne dans le coin me rappelle celui de l’Islande : soleil, pluie, fraîcheur.

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J3 : Memminger Hütte – Zams (9 juillet 2017)

Nuitée dans le dortoir. Me réveille, me rendors, me réveille, me rendors, etc. Mais dans l’ensemble, pas trop mal dormi. À 5 h 30, deux personnes se lèvent. Elles sont vite imitées par plein d’autres. La masse critique de ceux qui font du bruit est vite atteinte. Plus la peine d’essayer de dormir. On avait prévu de se lever tôt de toute façon. Le refuge fonctionne comme une petite industrie. Il y a tellement de monde ici, probablement autour de 120 randonneurs. Mais, c’est une industrie qui fonctionne sans accroc, bien organisée, propre. Au programme du jour : descente de 2000 m pour passer d’un climat subpolaire à un autre plus estival dans la vallée de l’Inn (767 m). Notre destination s’appelle Zams. D’abord, montée dans la caillasse sous une pluie fine pour atteindre le col surplombant le refuge de Memmingen. Nous sommes beaucoup à être partis vers 7 h 15 et nous suivons à la queue-leu-leu dans une ascension lente et ardue. En haut, le col étroit ne laisse de la place que pour une personne à la fois. Ensuite, longue descente difficile sur des cailloux qui roulent sous la semelle. Nous sommes sans cesse obligés de freiner notre progression avec les bâtons pour réduire le risque de dérapage et de chute. Ciel maussade, pluie intermittente. Sur le chemin, j’échange quelques mots avec mes connaissances de passage (Lars le Danois et son fils, l’étudiante et son copain turc). Enfin, arrivée sur un assez long plateau, à mi-hauteur par rapport au but du jour. Le peloton se décante. Les plus rapides prennent le large. On entre dans une zone de conifères. Le chemin longe le lit d’un torrent qui grossit de plus en plus pour se jeter en bas dans l’Inn. Plus loin sur le plateau, un troupeau de vaches et un refuge/buvette où la plupart des marcheurs s’arrêtent. Je poursuis ma route et entame la seconde grosse descente du jour. Pas évidente non plus, car très longue, mais techniquement moins dure que la première. La forêt est toujours là. Je ne la quitterai qu’à la fin, une fois l’étape atteinte. Je marche sur des chemins escarpés, à flanc de ravin. Impressionnant. La vallée où je me trouve est étroite. Les montagnes plongent à pic dans l’eau. De l’autre côté du torrent, des murs immenses et verticaux de roche gris clair. Je touche enfin au but avec les 2 randonneurs de la région d’Ulm. Nous entrons dans Zams vers 13 h 10. Je crois que nous sommes les premiers à arriver de tout le contingent parti ce matin. Je trouve une chambre double pour 35 euros par personne à la pension Hubertus, laisse mes affaires là-bas, puis reviens m’installer sur un banc au bord du E5 pour attendre Heri. Pour tuer le temps, je tape mon compte-rendu du jour. 15 h 45, Heri toujours pas là. Je retourne à la pension pour me doucher. Puis, me voici à nouveau dehors pour voir si Heri arrive enfin. Des randonneurs continuent d’affluer. On se prend un orage de plus sur la tête. Il est virulent, celui-là. À 16 h 10, ça y est ! J’aperçois Heri venir à moi sous une pluie battante. Je l’accompagne jusqu’à notre chambre où nous reposons un peu. À 18 h, nous nous rendons au Post Gasthof Gemse, un bon local, malgré pas mal de mouches qui virevoltent à l’intérieur. C’est le seul resto ouvert ce soir. J’oublie que je suis végétarien et opte pour une cervelle de veau cuite au four. L’occasion de manger un mets pareil se présente rarement. Deux hommes demandent la permission de s’assoir à notre table. Ils sont amusants. Nous passons un bon moment avec eux. Randonneurs (l’un 59 ans, l’autre plus de 70), bons vivants, bavards, ils font en plusieurs parties une marche depuis Munich jusqu’à Nice via le lac de Garde. Après le resto, retour chambre et dodo mérité.

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J4 : Zams – Braunschweiger Hütte (10 juillet 2017)

Debout à 6 h 30. Nous embarquons dans le téléphérique qui monte au Krahberg à 8 h. Puis, environ 4 h à pied jusqu’à Wenns. 1 h avant, Heri laisse le E5 derrière lui et emprunte un autre chemin pour atteindre Wenns sans se presser. Il prendra là-bas le car en direction de Imst pour retourner ensuite à Oberstdorf. Nos routes se séparent, car Heri retravailler demain à Stuttgart. Dommage. On a passé du bon temps ensemble. Il me donne ses semelles avant de se quitter. J’ai constaté ce matin qu’il m’en manque une, pas bien compris comment une chose pareille a pu se passer. Oubliée à Stuttgart ? Je prends la voie directe vers Wenns. Temps nuageux. J’arrive à une station de bus à 11 h 50. À côté, un magasin de sport. Juste le temps d’acheter une lanière pour bien fixer mes lunettes sur mon nez et des nouvelles chaussettes. Je grimpe dans le bus pour parcourir 30 km de route dans la Pitztal jusqu’à Mittelberg. À l’arrêt suivant, un groupe d’une quinzaine d’écoliers de 11ème classe embarque avec ses 2 profs. On les avait déjà croisés à la Memminger Hütte. Ils viennent de Kempten. Vers 13 h, on débarque. Les lycéens font une pause casse-croûte. J’entame tout de suite une ascension de 3 h 30 dans un décor de rêve jusqu’à la Braunschweiger Hütte (2758 m). Retour vers un climat subpolaire. Des torrents gris clair déferlent dans la vallée. Grosses cascades impressionnantes. Le long du chemin sont disposés des câbles métalliques aux endroits où la pente est trop raide. La montée est dure, mais techniquement pas déplaisante. Sans petits cailloux roulants. Essentiellement, des gros rochers. Un peu avant l’arrivée, les lycéens et les 2 profs déboulent derrière moi comme un boulet de canon. Des vrais machines à randonner. J’ai l’impression d’être une 2 CV doublée par une Porsche. À deux pas du chemin, deux bouquetins nous observent. Plus ça monte, plus le décor devient sublime. Gros torrents bruyants, paysage austère, minéral, et peu avant le but de l’étape, des glaciers pointent le bout de leur langue. 16 h 10, arrivée à la Braunschweiger Hütte. Quasiment tout autour, des glaciers dominés par des sommets dépassant les 3000 m. Dans le refuge, je reconnais quelques visages. Je rediscute un peu avec les deux compères d’Ulm. Spaghetti bolo au dîner. J’essaie de papoter avec les gens assis à ma table, mais ils sont essentiellement dans l’entre-soi. Je récupère une chambre où nous serons 3 à dormir. Les deux autres camarades de chambrée exercent respectivement le métier de photographe et de journaliste. Ils travaillent sur un bouquin dont le sujet est le E5. L’un prend des photos pendant que l’autre interviewe des hôtes prenant leur dîner. 19 h 15, fait trop chaud à l’intérieur. Je me promène une dernière fois autour du refuge dans la fraîcheur du soir, histoire de méditer devant ce décor splendide. Devant moi, la langue de glace a la couleur grise d’une boule de mercure. Des gros nuages lourds stationnent au-dessus de nos têtes, mais pas d’orage ce soir. On entend de partout le fracas de l’eau des glaciers. Le vent souffle. Ça me rappelle l’Islande. Un coin somptueux pour des gens de passage saisis d’admiration, mais dans le fond pas vraiment un endroit à vivre. Un lieu surhumain. 20 h 48, encore un tour dehors, sur la terrasse cette fois-ci, pour prendre l’air (décidément trop chaud dans la salle à manger). Plus bas, une demoiselle sur une balançoire va et vient doucement au milieu de la brume ouatée. J’échange quelques mots avec un couple de lycéens qui se bécotent. Des gouttes commencent à tomber. Un orage s’annonce. Je me couche à 22 h. Les 2 personnes qui écrivent un bouquin sur le E5 aussi. On discute, ils sont sympa. Vers 23 h débarque un gars qui transporte du matériel d’escalade. Il essaie de ne pas faire trop de bruit. En revanche, quelques minutes plus tard, il ronfle bruyamment. Son ronflement commence tout doux, puis monte en gamme jusqu’à en faire vibrer la chambre entière et soudainement, s’arrête enfin. Une minute plus tard, le même cirque redémarre. Je ne m’imaginais pas qu’une personne ayant une morphologie d’escaladeur puisse produire un tel vacarme pendant son sommeil. Heureusement, il se lève et part très tôt, vers 3 h du matin.

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J5 : Braunschweiger Hütte – Vent (11 juillet 2017)

Départ du refuge à 6 h 25. Je m’égare un peu dans les gros rochers avant de retrouver le chemin menant au col Pitztaler Jöchel (2979 m). Deux gars m’ont remis sur les rails. Je les suis pendant l’ascension. Avant le col, vue panoramique saisissante sur une multitude de sommets. Devant moi, la Wildspitze (3768 m), point culminant du Tyrol. Des montagnes partout, une mer de montagnes qui font des vagues immobiles. Je suis au milieu des Alpes, loin des basses plaines, juste un petit bonhomme dans un tableau de Caspar David Friedrich. Descente difficile vers le bas des pistes de ski de Sölden. Pente raide, gros rochers. Certains passages ne peuvent être franchis qu’en s’agrippant à un câble métallique. Je vois au bout les bâtiments de la station. Décor bizarre. De la caillasse sombre sur laquelle s’active une pelleteuse, et des glaciers… en partie bâchés ! Pour éviter qu’ils ne fondent trop vite, je suppose. Étrange dispositif. J’arrive au pied des pistes. Des grands parkings gris anthracite, très sombres, et quasiment vides. J’ai l’impression d’évoluer dans un film en noir et blanc. Un peu derrière, un arrêt de bus. Il faut se laisser transporter pour traverser un long tunnel menant à un autre endroit de la station d’où l’on peut reprendre la randonnée. D’après le panneau d’informations, je vais devoir patienter dans ce désert de bitume quasiment une heure et demie avant le passage du prochain bus. Les deux camarades d’Ulm me rejoignent à ce moment-là. Nous sommes un peu contrariés de constater que l’attente sera si longue dans un coin pareil. Puis, miracle ! Un bus arrive subitement, alors qu’il n’était pas annoncé. Une fois passés de l’autre côté, le chauffeur nous dit que nous ne sommes pas obligés de payer. Les deux randonneurs d’Ulm et moi-même poursuivons la route ensemble le long du Panoramaweg qui s’accroche à flanc de montagne en longeant une longue vallée. De l’autre côté, des glaciers chapeautent en partie un massif de haute altitude qui nous domine pendant toute notre progression. Des torrents puissants s’en échappent et dévalent le long des pentes avec fracas. Les nuages et la brume vont et viennent, mais dans l’ensemble, le soleil brille sur les sommets pendant toute la matinée. Je quitte définitivement les deux compères qui font une pause et poursuis mon chemin seul jusqu’à Vent où je prendrai aujourd’hui mes quartiers. Je touche au but vers midi dix. Hébergement à la Pension Elisabeth, certes pour 40 euros, mais la chambre est la plus chic de la semaine jusqu’à présent, du niveau d’un bon hôtel. Je traîne dans le village. Visite d’une chapelle, promenade, emplettes. C’est l’après-midi et il pleut. Un classique depuis le début de la semaine : beau temps le matin, dégradation vers 13 h et précipitations jusque tard dans la nuit. Je me promène sous une forte averse et passe devant un enclos pour moutons ou peut-être pour des poneys. À l’intérieur, deux hommes se sont postés sous un préau à l’abri des gouttes. Détail rigolo, un panneau positionné devant eux précise : ne pas caresser, ne pas nourrir (risque de colique). Dans le “general store” du coin, j’ai repéré une fois de plus les lycéens de Kempten, qui s’approvisionnent avant de poursuivre leur route. Plus tard, devant le même magasin, l’étudiante originaire de Lindau et son copain me reconnaissent. Ils dorment ce soir dans la pension juste à côté de la mienne. Ils ont galéré hier peu avant la tombée de la nuit, sans pouvoir monter à temps vers la Braunschweiger Hütte, et ont dû donc camper en catastrophe dans la vallée à Mittelberg, sous une pluie glacée. Maintenant, leur retard est comblé. Et demain, nous aurons le même objectif : 7 h de marche pour rejoindre Vernagt dans le Südtirol et prendre le bus pour Meran. Nous ferons route ensemble. Départ de Vent prévu à 7 h 30. Je ne sais pas comment ils s’appellent.

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J6 : Vent – Meran (12 juillet 2017)

Debout à 6 h 45. Super petit-déjeuner à la Pension Elisabeth. Je pars à la rencontre de mes deux étudiants, qui logent à deux pas, dans la Pension Edelweiß. Ils en sortent avec 10 min de retard par rapport à l’heure convenue. Honorable pour des étudiants. Nous faisons plus ample connaissance. Elle s’appelle Lara et lui, Deren. Ils ont tous les deux bientôt fini leurs études – elle à Graz, lui à Karlsruhe – pour devenir chanteurs d’opéra. J’ai noté leurs coordonnées, au cas où, car ils sont en mesure de conseiller Madeleine dans ses choix d’orientation post-Abitur. Ils sont bien sympa et ensemble, nous allons faire la dernière étape jusqu’à Meran. D’abord, 2 heures et demie de montée pour atteindre la Martin-Busch-Hütte (env. 2500 m). Nous grimpons relativement vite, en prenant de très courtes pauses. Un bref arrêt devant le refuge avant de réattaquer l’ascension vers la Similaun-Hütte enveloppée de froid et de nuages, à 3017 m d’altitude. Il s’agit du point culminant de notre parcours entre Oberstdorf et Meran. Encore 500 m de montée raide. La température baisse sensiblement. Un dernier gros effort à fournir dans un cadre frisquet, vaste et minéral. Sur ma gauche, le sommet du Similaun. Doit pas faire bon s’y attarder, tout là-haut dans le vent mauvais. En léger contrebas, un paquet gigantesque de glace, et un peu plus loin vers le nord, un immense champ gelé d’un blanc éclatant. Nous atteignons un embranchement pour se rendre à la stèle qui marque l’emplacement où le fameux Ötzi fut découvert. Le corps quasiment intact de cet homme préhistorique pris dans la glace se trouve désormais exposé dans un musée à Bozen. La montée jusqu’au refuge est décidément bien ardue. La faim me tenaille l’estomac, mais nous avons convenu de manger au col. Vers midi trente, après un court passage sur un névé, nous y accédons enfin. Les nuages frôlent à vive allure les murs du refuge, poussés par un vent d’Italie. En léger aval de la Similaun-Hütte, nous avons franchi la frontière, qu’aucun panneau n’indique. Nous sommes maintenant dans le Südtirol, une région alpine germanophone que les Italiens ont chipée en 1920 aux Autrichiens, à la faveur du traité de Saint-Germain-en-Laye. Nous ouvrons la porte d’entrée. À l’intérieur, nous entendons pour la première fois de l’italien se mêler à de l’allemand. Lara, Deren et moi-même commandons un chocolat chaud. On ne l’a pas volé. Un vrai plaisir de le boire dans cette grande bâtisse en bois haut perchée dans le froid. Mon regard croise celui de gens aperçus dans les refuges précédents. Nous nous reconnaissons mutuellement. Un groupe d’écoliers italiens déjeune ici. Ils n’ont pas l’air du coin. Aucun d’entre eux ne parle l’allemand. Un des gamins pointe son doigt vers un Apfelstrudel en demandant ce que c’est. Le personnel du local jongle avec les deux langues. Lara feuillette les pages d’un Astérix écrit en dialecte tyrolien. Nous nous emmitouflons ensuite et nous postons dehors, dans un coin à l’abri du vent pour casser la croûte. Dix minutes plus tard, nous entamons la dernière descente de la semaine. Deux heures de marche, en passant d’abord par des champs de roche plongés dans la brume, puis dans les alpages et enfin à travers une forêt de conifères au bout de laquelle se trouve le lac de Vernagt. La première portion est un peu délicate à négocier. Nous passons au bord de longues colonnes sombres sur le sommet desquelles les nuées enveloppent des croix isolées. Un décor lugubre comme dans un film de Tim Burton. Mais, peu de temps après, nous voyons déjà le lac pointer le bout de son nez. Sa surface bleu émeraude baigne dans la lumière généreuse du soleil. En bas, c’est l’été. Courte pause dans les alpages. Puis, Deren entame la dernière portion de la descente au pas de course. Il se met littéralement à dévaler le long de la pente. Ses genoux souffrent sous le poids de son sac à dos trop chargé. Vers 15 h 10, nous quittons le sentier, et la grande étendue d’eau est enfin là, tout près, juste en face. Sourire aux lèvres, nous nous congratulons réciproquement, puis filons vers l’arrêt de bus du village de Vernagt. Prochain transfert pour Naturns prévu à 16 h 16. Nous attendons tranquillement, les fesses posées sur un banc, devant le lac. D’autres marcheurs croisés sur la route à maintes reprises depuis le début de la randonnée traînent aussi dans les parages. Comme nous, ils sont heureux d’être arrivés et attendent le prochain bus. Le voici enfin. Trajet dans une belle vallée encaissée. Parfois, le véhicule quitte la route principale et s’embarque sur des voies étroites en lacet à flanc de montagne. À chaque fois au bout du chemin, un petit village avec son église domine la vallée. Des grands-mères parlant le dialecte tyrolien embarquent dans le bus qui fait alors demi-tour pour rejoindre la route principale. Lara m’a dit plus tôt dans la journée que la langue des gens du coin ressemble au bavarois. Dans la pampa où nous nous trouvons, bien que les panneaux, pancartes, enseignes, infos diverses, etc. soient dans les deux langues (allemand et italien), il ne doit pas y en avoir beaucoup qui parlent italien. Les jeunes Sudtiroliens peuvent étudier à l’université d’Innsbruck en bénéficiant des mêmes avantages que ceux accordés aux Autrichiens. Terminus à Naturns. Problème : le train pour Meran ne viendra pas. La voie ferrée est en travaux. Le bus de remplacement non plus, car il vient de tomber en panne. Nous voici plantés à 15 km du but et personne ne peut nous informer. Les conducteurs de la société de transport croisés là n’en savent pas plus que nous. Avec Lara, nous nous disons l’un à l’autre avec un sourire entendu : “Bienvenue en Italie !” J’envisage un instant de joindre Meran à pied. Au moment où nous nous organisons avec d’autres randonneurs pour réserver un taxi de groupe, le bus de remplacement du bus de remplacement débarque soudainement. On s’y assoit avec le sac à dos sur les genoux, faute de place suffisante. Le véhicule transite par une large vallée couverte de vergers. Dehors, il fait environ 30 degrés. Des cyprès défilent derrière la vitre. Nous sommes entourés de montagnes, mais on sent déjà l’influence de la Méditerranée. 18 h, nous débarquons devant la gare de Meran. Ça y est, nous sommes enfin arrivés. Oberstdorf – Meran en 6 jours. Je fais mes adieux à Deren et Lara. Nos chemins se séparent ici. Il se rendent dans une auberge de jeunesse et moi, à l’hôtel Kolping. Nous avons passé tous les trois une journée de rêve. C’était chouette de toucher au but en leur compagnie. Je traverse rapidement le centre, fais quelques emplettes, me prends au passage un petit peu de pluie sur la tête – un épisode de courte durée, avec à la clef un joli arc-en-ciel -, j’entre dans l’hôtel, file sous la douche et dîne enfin tranquillement sur le mini-balcon de ma chambre. Un doux soleil déclinant éclaire Meran. Plus tard, petite balade en ville. Cette cité est ravissante, ambiance chic, mondaine, des thermes. Très agréable à visiter à pied en flânant le long de la rivière ou dans une zone piétonne où des touristes parlant l’italien ou l’allemand se promènent avec nonchalance. Des gamins mangent une glace sous les arcades. L’air est doux. Odeurs de bars à bière et de pizza. Une ville de culture allemande sur laquelle les Italiens ont exercé leur influence. Sur le chemin de l’hôtel, j’ai vu un panneau qui propose d’agir contre le supposé fascisme culturel consistant à donner à des lieux des noms italiens qui n’ont pas de rapport avec ceux écrits à l’origine en allemand. La province de Bozen bénéficie néanmoins d’un régime d’autonomie et le Südtirol est maintenant relativement apaisé. Il n’en a pas toujours été ainsi : déportations sous l’ère Mussolini, attentats perpétrés par les séparatistes à Bozen dans les années 70. En tout cas, on sent que Meran a été plus italianisée que les villages montagnards de la campagne environnante. Cela ne surprend guère. Retour à l’hôtel. Dodo à 23 h.

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J7 : Meran – Stuttgart (13 juillet 2017)

Super petit déjeuner. Du raisin ! Des cerises ! Je remange des fruits. Train Meran – Bozen à neuf heures moins le quart. J’achète une carte postale juste avant d’embarquer. Je déambule ensuite une petite heure dans les rues de Bozen avant de grimper dans le Vérone – Munich. Bozen : beaucoup de points communs avec Meran, en plus grand. Des jolies places, des terrasses, une artère bordée d’arcades. Architecture germanique… italienne… italo-germanique, et un beau soleil dans le firmament. À environ 10 h 40, l’express entre en gare. Sur le quai, aucun passager ne sait où se trouve son wagon. Pas d’info à ce propos nulle part. Les charmes de l’Italie… À midi, arrêt à Brenner, juste avant la frontière avec l’Autriche. Des militaires et des policiers italiens se tiennent sur le quai. Certains d’entre eux montent à bord. Ils repèrent deux Noirs cachés dans les toilettes situées au bout de mon wagon. Ils sont rapidement débarqués sans violence. Quelques minutes plus tard, le train repart. Cette fois-ci, des douaniers autrichiens nous rendent visite pour contrôler nos papiers. Je sors ma carte d’identité allemande, histoire de voir comment va réagir la douanière quand elle verra un nom français inscrit dessus. Mes longues jambes, mes yeux gris bleus et mon visage sévère suffisent à la convaincre. Elle regarde à peine ma carte d’identité. Nous passons par un tunnel nettement moins long que je ne l’avais initialement imaginé, et me voici de retour dans le Tyrol. Après Kufstein, nous franchissons la frontière avec l’Allemagne. Là encore, un Noir traverse notre wagon accompagné de deux policiers. Sur la gauche, le Wendelstein nous domine. Correspondance à Munich pour Stuttgart. Une emmerdeuse assise proche de moi, visiblement chef de ne je ne sais quoi, passe son temps à blablater sur son téléphone en Denglish trop fort. Même son ordinateur fait un horrible boucan – ding ! ding ! – quand elle rate une manoeuvre. Je change de place. Toujours sur le même sujet, vu à Meran, à trois reprises : une personne téléphone en tenant son smartphone horizontalement à une dizaine de cm du visage. Le haut-parleur est à fond et quand le possesseur du portable a la parole, il beugle. Arrivée à Stuttgart sous un beau ciel bleu vers 17 h 45. Je retrouve Elisabeth et les enfants au kébab de Gaisburg.

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West Highland Way, 1er épisode

26 mai 2018

Édimbourg. Sortie avion. Temps frais. Des bourrasques de vent refroidissent le corps. Bus pour Glasgow. Nuitée à l’Amadeus Guest House.


27 mai 2018

Une journée à Glasgow. La ville est à prendre ou à laisser. Architecture hétéroclite. Centre à la façon d’une ville américaine avec des artères tirées au cordeau. Par endroits, des faux airs de San Francisco quand les rues grimpent à pic sur le flanc d’une colline. Après une phase d’acclimatation, je trouve Glasgow pas mal. Accueil impeccable à la guest house. Musée épatant dans le grand parc de Kelvingrove. À l’intérieur, on trouve de tout, des tableaux, des sculptures, de l’Histoire, de l’art, du design, un Spitfire attaché au plafond qui survole des animaux de la savane africaine. Le parc botanique au NO de la ville mérite aussi une visite. De belles serres de verre et de métal peint en blanc, aux formes arrondies. En début de soirée, de retour vers la guest house en longeant la rivière Kelvin. Depuis la rive couverte d’arbres, on entend la ville sans la voir.

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28 mai 2018

Bus à 7 h 20 pour Milngavie (prononcer “Moulguaïe”, la langue de Shakespeare est merveilleuse). Ma main se pose sur la borne zéro du West Highland Way vers 8 h. Objectif : le Loch Lomond, une trentaine de km plus loin. Dans la forêt, à quelques encablures seulement de la zone urbaine, je vois plein d’azalées (ou rhododendrons ?) imposantes, qui se déploient magnifiquement dans l’espace pourtant encombré du sous-bois. J’aperçois mon premier loch dans la matinée. Un Glaswegian, qui marche de Milngavie à Balmaha une fois par an à la fin mai, parcourt un bout de chemin avec moi. Il a vécu quelque temps en France (Baie de Somme, Cévennes) et travaille dans le transport public. Ça nous donne des sujets de conversation. Mon compagnon de route progresse à vive allure. J’ai du mal à soutenir son rythme. Au niveau de Drymen, il m’indique où se trouve le terrain de camping de Millarochy Bay, et je le laisse filer devant moi. Mon sac à dos me fait mal. Il doit peser autour de 11 kilos. Belle journée aujourd’hui, avec une température au-dessus de la barre des 20 degrés. Je traverse plusieurs zones sans ombre. Montée de Conic Hill. Superbe point de vue sur le Loch Lomond. Puis, descente vers Balmaha. Là-bas, beaucoup de monde est venu passer la journée fériée au bord du lac. Je bois d’une traite une Stella Artois de 66 cl. Encore 3 km jusqu’au camping. Je monte la tente vers 18 h 15. La journée a été physiquement éprouvante. Balade le soir sur la plage. Cet endroit se trouve à 56 degrés Nord de latitude. La nuit tombe donc fort tard dans la soirée à cette époque de l’année. Les minuscules midges sont malheureusement de sortie et très actives.

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29 mai 2018

Longue étape au bord du Loch Lomond (un nom très apprécié par le capitaine Haddock). Chemin pas évident sur plus de 30 km. Du caillou en masse. Le sentier côtier monte, descend, remonte, etc. La plupart du temps, il reste à l’ombre des arbres. En bordure, des azalées, de l’ail des ours, des violettes, des arbustes aux fleurs jaunes. Et toujours présent juste sur ma gauche, l’imposant loch entouré de montagnes. Sous le soleil, il semble accueillant. On pourrait s’y baigner. Mais, il suffit que le vent souffle un peu, que le ciel se voile, et le loch devient soudainement gris, froid et profond. Beau et impressionnant. Mon sac à dos me fait affreusement mal depuis hier. À la fin de la journée, j’aurai parcouru autour de 65 km comme ça, dans un décor certes superbe, mais avec un bilan souffrance/plaisir négatif. J’envisage de laisser tomber. Je ne vois pas l’intérêt de poursuivre l’aventure si c’est pour souffrir tout le long du chemin. Au camping Beinglas Farm, je remplis un formulaire pour me faire transporter le sac demain. Encore beaucoup de midges ce soir (elles sont aussi très présentes le matin, puis quasiment pas dans la journée). Mais, grâce à mon chapeau à bord large équipé d’une moustiquaire, pas de problème. Au début, je pensais que j’aurai l’air d’un guignol avec un couvre-chef pareil, et très vite, j’ai constaté que les autres campeurs portent aussi ce genre de protection et qu’ils ont bien raison de le faire. Un point positif : les midges ne rentrent ni dans les tentes, ni dans les locaux du camping.

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30 mai 2018

Au bout de 65 km, je dois malheureusement abandonner. Certes, mon sac à dos aurait pu être transporté jusqu’à Bridge of Orchy. Mais, je n’avais plus qu’un petit sac en toile de jute de la boulangerie Voß à ma disposition pour emporter mes provisions du jour. Ce matin, au bout de 500 m sur le chemin, je constate que je ne pourrai pas tenir plus de trente km en trimbalant cette petite poche ridicule qui tape sans arrêt sur mon flanc droit. La veille au soir, suite au deux premières étapes, je ne voulais plus poursuivre la route en portant entre 10 et 12 kg sur les épaules. Ça me faisait vraiment trop mal. Régulièrement, je changeais le réglage des lanières, en vain. De plus, quelqu’un dans le ICE pour Francfort a endommagé l’attache ventrale de mon sac à dos en posant sans ménagement sa valise dessus. Mais, même avec une attache en bon état, j’aurais ressenti des douleurs. Il aurait fallu aussi se donner plus de temps pour parcourir tout le trajet. Ce n’était pas une bonne idée de se lancer quotidiennement à l’assaut d’une étape de plus de 30 km, 5 jours durant sur du chemin plutôt exigeant. Un tel dessein occasionne des journées longues, de 10 heures de marche, durant lesquelles je n’ai pas vraiment le temps de prendre des pauses pour souffler et admirer le paysage. Il faut crapahuter sans relâche et le plaisir de la randonnée s’en trouve considérablement réduit. Conclusion : jet de l’éponge et retour à Glasgow où je passe l’après-midi à me promener, les épaules légères: cathédrale St. Mungo, centre-ville, Hunterian Museum, université de Glasgow (architecture néo-gothique à la Harry Potter), passerelle sur la rivière Clyde. Décidément, cette ville est à prendre cash. Pas toujours bien propre. Mais, attachante une fois qu’on a trouvé ses repères. Ce soir, fish and chips à The Oxford et un verre de whisky Old Pulteney dans le Old Victoria, le repère pas cher, sympa et très animé des étudiants de la Glasgow School of Art, sur lequel je suis tombé au hasard de mes vagabondages urbains.

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31 mai 2018

J’ai repensé aux raisons de mon échec. Je suis parti la fleur au fusil, sans préparation sérieuse du plan des étapes, en croyant qu’avec la tente je pourrai improviser au fur et à mesure de la randonnée. Je me suis rendu compte seulement dimanche qu’il me faudrait marcher tous les jours (sauf le dernier) plus de 30 km en portant entre 10 et 12 kg sur le dos, si je voulais atteindre Fort William le vendredi après-midi. Et puis, trop d’incertitude ne me réussit pas toujours. Pas mon truc. J’aime bien planifier l’action un minimum et anticiper les problèmes potentiels. Du coup, mon impréparation a transformé mon périple en une pure performance sportive. Un peu de prouesse physique de temps à autre, pourquoi pas, mais si cet aspect occupe toute la place et que la douleur prend le dessus sur le plaisir de se promener dans des beaux paysages, alors que la performance aille se faire voir ailleurs. M’en fiche d’elle, c’est juste un bonus en option.

Aujourd’hui, visite d’Édimbourg dont la région urbaine compte un million d’habitants. De premier abord, le contraste avec Glasgow est saisissant. Belle unité architecturale, du néo-gothique “à la Harry Potter”. Ça sent l’Histoire, la culture, la littérature, la bourgeoisie, le rugby. On évolue dans le cosy. Alors qu’à Glasgow (agglomération de 3 millions d’habitants), on baigne dans l’industrie, le populaire, le foot. Cela dit, il faut y regarder de plus près. Par exemple, j’ai constaté un nombre important d’universités à Glasgow. Mais, revenons à la capitale de l’Écosse. Je déambule dans les rues de son centre en passant par le château, le Royal Mile, la cathédrale et le palais de Holyrood. Tout cela est certes superbe, mais encombré de touristes. Donc, à voir sans l’ombre d’un doute, mais sans excès. J’aime bien la maison du réformateur John Knox. La ville n’est pas plate. Super points de vue sur la zone urbaine depuis le parc de Calton Hill. Un guide allemand raconte plein d’histoires à un groupe de touristes. J’en profite pour écouter des petites anecdotes. La Luftwaffe a lancé par erreur pendant quelque temps des bombes sur une île au large du port, car elle ressemble à un bateau. De toute façon, leur vraie cible, c’était les chantiers navals de Glasgow, pas vraiment Édimbourg. En fin d’après-midi, je retourne dans mon quartier et bois une pinte dans un rade pur jus, le Kings Arms. Derrière le comptoir, une jeune femme tient les rênes de l’affaire. Directe, un peu rustaude, mais dans le fond probablement sympa. On sent qu’elle est rompue au commerce avec une clientèle de mâles prolos. Ça a manifestement déteint sur elle. Des habitués d’un certain âge sirotent leur bière sans hâte. On ne s’intéresse pas du tout à moi. Il n’y aura pas de socialisation tant vantée dans les guides touristiques, en tout cas pas dans ce pub où mon apparence jure trop avec le décor ambiant. Balade le soir le long de l’Union Canal. Un de ces coins que j’adore. Dans la cité, mais tranquille, vert. En vrac : une série d’immeubles modernes intéressants, puis d’anciens très bien aussi, une église au bord de l’eau, une dame qui enseigne le pagayage à deux jeunes femmes, des joggeurs, des cyclistes, des promeneurs, une lumière douce, et du temps pour humer le tout. Un match de foot se déroule dans un parc à proximité. Deux clubs de jeunes de la ville, un arbitre, deux entraîneurs et quelques parents debout autour du terrain. Le football est un art incertain. Tout près de l’action, au bord de la ligne de touche, on constate bien à quel point il s’avère ardu de chorégraphier le jeu. Le ballon pèse lourd. Glissant, incontrôlable, il fuse sur la pelouse mouillée. Et parfois, rarement, un miracle a lieu. L’enchaînement des gestes fonctionne à merveille et le ballon termine sa course au fond des filets. Tout le monde autour du terrain attend fiévreusement ce moment de grâce qui tarde à venir. Le jeu est très mouvant, indécis, les gars se dépensent beaucoup, hurlent fréquemment des instructions, poussent des gueulantes. Au final, les rayés noir et blanc du quartier l’emportent sur les visiteurs vêtus de blanc.

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1er juin 2018

Dans ma guest house, sur une table de la salle pour le petit déjeuner, un bouquin, une parodie du Club des cinq. Le titre : Five on Brexit Island. Très marrant ! Une théorie avancée par le livre : si l’un des personnages avait su avant le référendum à quel point la variété de saucisses sur le continent européen est grande, alors cette information aurait pesé très lourd dans son choix. Hier, j’ai vu à la télé un débat à propos du Brexit et de l’indépendance possible de l’Écosse. En gros, ça tourne en rond, un vrai merdier dont on ne semble pas pouvoir sortir. Les plaques d’immatriculation donnent à leur façon une idée de l’étendue du problème. Certaines voitures affichent les lettres GB, d’autres ENG – pas très populaires en Écosse -, d’autres encore SCO, et le tout combiné avec les étoiles de l’Union européenne, ou pas.

Aujourd’hui, visite du National Scottish Museum, encore un musée sensationnel, comme celui de Kelvingrove à Glasgow, mais en plus grand. On peut y passer plusieurs jours. Un grand hall clair surplombé d’une verrière, des petits passages discrets qui conduisent à d’autres halls de taille plus modeste. De quoi se perdre facilement. Une grande variété de thèmes : art, design, sciences, Histoire, nature. Et des machines merveilleuses du genre “steam punk” : une tour abritant une horloge et un manège mécanique infernal symbolisant le millénaire écoulé, une armoire musicale dont la façon de jouer dépend d’informations glanées sur l’internet. On peut soi-même influencer son jeu en postant un message sur Twitter (si j’ai bien compris). Tout en haut du bâtiment, la terrasse du musée offre l’occasion de méditer tranquillement en contemplant la ville. Il a plu un peu dans l’après-midi. Je suis retourné au Bennet, un pub à l’ancienne – pas de télé, pas de musique – où j’ai déjà bu un coup hier. Il est situé juste à côté d’un théâtre. Grosse affluence, ce soir. Des gens s’en jettent un petit avant d’aller voir une pièce. Cette fois-ci, ça a mordu, question socialisation. Je discute avec un gars qui sirote un vin blanc. Il était dans le temps marin à la Royal Navy. Dans le cadre d’un programme d’échange, il a passé une semaine dans les années 80 avec des soldats de la RFA qui gardaient la frontière avec l’Allemagne de l’Est. Les gars du Bundesgrenzschutz lui ont montré comment jouer des tours aux collègues d’en face au moyen d’un chien qu’ils envoyaient dans le no man’s land déclencher l’alarme. Quant aux Allemands de l’Ouest qui ont partagé pendant quelque temps le quotidien de leurs collègues écossais, ils sont revenus au pays en disant que ces derniers buvaient vraiment trop. Maintenant, mon ex-marin écrit un bouquin pour enfants, une histoire avec un elfe ami imaginaire d’un gamin. Il va essayer de se faire publier.

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2 juin 2018

J’ai un peu discuté lors du petit déjeuner avec un couple de Danois. Et aussi avec Graham, le proprio. Souriant, très sympa, amateur de standards américains du genre Cole Porter. Un Écossais, un vrai. Donc, pas un grand fan de l’Angleterre. Il me cuisine tous les matins un Scottish breakfast. C’est du roboratif. Je fais le plein de protéines animales pour la journée : saucisse, oeuf sur le plat, bacon, une tranche de Scottish pudding (une sorte de boudin) et une de haggis. Pour tenter d’équilibrer le tout, juste un petit potato scone et une demi-tomate. Quand je pense que je mange rarement de la viande à Stuttgart… Mais, faut reconnaître que c’est bon ! Aujourd’hui, balade le long du petit fleuve Water of Leith à partir de Dean Village, puis visite du jardin botanique royal. Encore un lieu splendide où l’on pourrait passer plusieurs jours. Un véritable feu d’artifice floral. À deux pas de là, des gens jouent au cricket (un sport peu pratiqué en Écosse, d’après Graham) et d’autres au rugby. J’ai consacré aussi la journée au shopping. Sur le chemin du retour, j’ai même assisté à un concert en plein air dans le parc The Meadows. Une observation amusante : même s’il fait un peu frais (autour de 10 degrés le matin et de 20 l’après-midi), et même s’il pleut un peu, la plupart des gens portent des vêtements très légers, comme s’ils étaient sur la Côte d’Azur. L’été arrive, alors l’Écossais s’habille en conséquence, point final. Dans la journée, on a droit aux montagnes russes de la météo : soleil, nuages, pluie, fraîcheur, chaleur. Le soir, je m’envoie une pinte de Tennent’s pour dire au revoir au Bennet. Pas une seule fois je n’ai trouvé une place assise dans ce pub. Sur un des murs, un maillot du XV du chardon signé par les joueurs. J’ai passé un bien chouette séjour à Édimbourg. Cette ville me plaît. Maintenant, il va falloir réfléchir à remettre un projet “West Highland Way, le retour” sur les rails.

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3 juin 2018

Retour à Stuttgart.

 

14 août 2016, Stuttgart – Bratislava

Départ de Stuttgart à 9 h 37. Pas évident de trimballer le vélo dans le train. Mais dans l’ensemble, un voyage sans histoire. Une correspondance à Salzbourg et une autre à Vienne. Arrivée à Bratislava à 17 h 44. Facile de voir qu’on entre dans la capitale : d’un seul coup, au bout des champs s’élèvent des barres de béton coloré. On passe de l’horizontal au vertical.

Petit tour rapide au centre-ville historique, dominé par un grand château blanc. Puis, 10 km à travers les quartiers périphériques pour atteindre le camping. Beaucoup d’immeubles, comme dans les cités de l’ex-ceinture rouge de Paris. Ils sont dans l’ensemble plutôt en bon état, en tout cas vus de l’extérieur. Au pied des tours, des parents et grands-parents se promènent avec des enfants en poussette. C’est le week-end. Ambiance paisible et familiale. Pas d’ados en capuche qui tiennent les murs.

Arrivée au camping Zlaté piesky. Entrée bétonnée et imposante dans le style communiste, un brin délabrée. Atmosphère populo désuète dans ce vaste espace bordé par un grand étang où les baignades sont autorisées. Au-delà du plan d’eau, des voies rapides, et encore derrière vers l’Est on entend les réacteurs des avions qui circulent sur et au-dessus des pistes d’un aéroport. Du côté Nord, des voies ferrées. Bref, tout cela ne respire pas trop le bucolique. Cependant, prix imbattables : 7,15 euros pour une nuit. Des spaghettis à la viande, au fromage râpé et au ketchup accompagnés d’une pinte de bière coûtent moins de 5 euros. Sur la carte, ce plat porte le nom de spaghettis à la bolognaise.

Nuit tranquille sous la tente. Mon vélo reste à côté d’elle, avec l’antivol qui bloque la roue arrière. J’en ai vu plein d’autres passant la nuit dehors, malgré les avertissements à propos du risque de vol postés à la réception. Il est même recommandé de laisser sa bicyclette dans un petit garage fermé à clef situé à côté du local de la sécurité. Je suis essentiellement entouré de touristes italiens, hollandais et allemands, la plupart en camping-car.

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15 août 2016, Bratislava – Pezinok

Le lendemain à 7 h, plus de vélo !

J’ai l’impression de ne pas être encore bien réveillé. Mauvais rêve. Et pourtant, pas de doute : ma bicyclette s’est bel et bien envolée. Je discute avec mes voisins allemands, un couple avec enfants qui pratique le cyclotourisme. Leurs vélos ont eux aussi passé la nuit dehors. Seul le mien a disparu. Je téléphone à Élisabeth, j’envisage de repartir à pied vers la gare pour retourner à Stuttgart. Après la douche, je rends visite aux gens de la sécurité. Ils occupent un petit local à l’entrée du camping. À côté, il y a même un mini poste de police encore fermé en cette heure matinale. L’employé de la sécurité, un costaud pas rasé à la voix cassée par trop de cigarettes, me dit (en allemand) : “Le vol de vélo ici, eine Katastrophe.” Je lui prie pour la forme et sans illusion de bien vouloir ouvrir la porte du garage mis à la disposition des campeurs.

J’entre dans la pièce. Surprise !… ma bicyclette s’y trouve. Un sac qui ne m’appartient pas repose sur le porte-bagages. Personne parmi le personnel de la sécurité ne semble savoir qui a transporté l’engin avec sa roue arrière bloquée par l’antivol. Cela n’a pas dû être une partie de plaisir. À la réception, l’employé ne peut pas plus fournir d’information concernant l’affaire. Bizarre… Le vélo est bien là, dans un état impeccable. J’appelle à nouveau Élisabeth, ma découverte de la Slovaquie peut commencer !

Début du programme du jour avec une virée au centre de Bratislava, histoire de le revoir sans se presser. Je roule 10 km avant d’atteindre la vieille ville. Montée raide afin d’accéder à l’esplanade devant le château. Je photographie d’en haut le Danube, large, majestueux, qui suit paisiblement son cours vers l’Est. Vue panoramique sur les toits de la capitale. Un touriste asiatique prend quelques photos depuis un point particulier, court à toute allure jusqu’à un autre point qu’il juge intéressant, prend à nouveau des photos, et continue ce manège en couvrant toute la surface de l’esplanade.

Descente pour se balader dans le cœur de ville. Joli, pas très grand, touristique. Belles façades Renaissance. Des couleurs douces. La statue rigolote d’un Napoléon pensif se dresse devant l’ambassade de France. Il est debout, accoudé sur le dossier d’un banc, l’air un poil renfrogné, avec le postérieur pointé vers l’entrée du bâtiment diplomatique. Des touristes en short et casquette se font naturellement prendre en photo avec lui. L’ambassade, comme c’est souvent le cas un peu partout dans le monde, est logée dans un élégant immeuble situé dans un bien beau cadre, en l’occurrence une grand’ place pavée.

Passage devant le Palais présidentiel. À deux pas de là, pause sandwich dans un parc avec une fontaine en triste état, un truc en béton construit après la guerre, sans doute conçu initialement pour durer 1000 ans, et qui n’a pas été rénové depuis des lustres. En arrière-plan, un immeuble bien rectangulaire, bien gris, bien communisme triomphant, lui aussi plutôt délabré.

Puis, 10 km pour retourner devant l’entrée du camping. Un panneau informe que dans les années 70, un avion de ligne a terminé sa course dans l’étang. C’est à cet endroit que commence ma route vers la région viticole des Petites Carpates. Il est temps d’y aller. Je pars avec en tête la bénédiction de mon camarade Hans du volley-ball. Elle m’accompagnera jusqu’au bout. Grâce à elle, rien de mal ne pourra m’arriver. Enfin, c’est le principe du truc. On verra bien. Et puis, si ça ne va pas, un retour en train à Stuttgart ne devrait pas poser trop de difficulté. La bénédiction en question : “Ultreia, Ultreia, et Suseia, Deus, adjuva nos! Auch mit dem Klapprad.”

18 km sur terrain plat. Pas toujours évident. Je roule le long d’un tout petit canal sur un chemin recouvert d’herbe qui freine ma progression.

Arrivée à Pezinok vers 15 h. Je suis fatigué, je m’arrête ici. Hôtel Vinársky Dom, 41,33 euros avec petit-déjeuner. Très bien, je prends !

Promenade dans le centre de taille modeste. C’est un peu touristique, cependant tranquille. Je bois un verre de vin blanc du coin à la terrasse d’un café. À 18 h, messe dans l’église catholique (dont la façade a besoin d’un coup de peinture). Je m’y attarde. Une quinzaine de paroissiens à l’intérieur. Mais, point de curé ! Tout le monde fait face à un maître-autel vide. Deux dames du public agenouillées devant les autres récitent au microphone un texte qu’elles connaissent par cœur. Les gens assis derrière répondent à l’unisson. Une affaire bien rodée.

Dehors sur la place, il fait bon. J’ai en vue pour le dîner un yufka kébab (kebab v tortile en langage local). Le vendeur me parle des attentats qui ont frappé la France récemment. Il fait preuve de compassion, malgré des mots maladroits qui ne me semblent pas avoir grand sens. J’acquiesce en souriant à chaque fois qu’il attend une réaction de ma part. L’intention du bonhomme est certes sympathique, mais les conditions ne sont en tout cas pas réunies pour entamer un grand débat sur la proportion de déterminisme sociologique et celle de liberté jouant un rôle dans les actes de jeunes paumés devenus des terroristes fous. Mon kébab est prêt ! Il est temps de reprendre des forces.

Plus tard, dans le jardin public, un paon blanc de la tête aux pieds se pavane dans la lumière déclinante du jour.

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16 août 2016, Pezinok – Dobra Vodá

Le trajet du jour a pour point de départ Pezinok et aboutit dans la pampa, au bord d’une clairière située à 7 km à l’est de Dobrá Voda, quelque part dans une épaisse forêt des Petites Carpates.

Début de la journée avec un petit déjeuner roboratif. Puis, en route pour le château de Červený Kameň. Bonne grimpette pour l’atteindre, heureusement en partie à l’ombre des arbres. En haut, un bel ensemble architectural dans un joli cadre, avec plusieurs expositions à caractère historique, un musée et un café. Descente pour retrouver mon itinéraire prévu. Je progresse dans une plaine bordée par les modestes montagnes des Petites Carpates, sur la route du vin. La région semble riche. Voitures récentes, maisons bien entretenues. Là où il y a du vin, l’argent coule aussi, c’est la règle. Plus loin, un assez gros trafic. Beaucoup de camions circulent. Nombreux sont ceux qui laissent derrière eux une odeur de fumier mêlée à celle du diesel. Parfois, la chaussée se rétrécit soudainement. Désagréable et un peu dangereux. Pire encore que les camions : les larges autocars qui sillonnent les routes slovaques. Chaque fois que l’un d’entre eux me double, bien garder son cap, les mains un rien crispées sur le guidon.

Pause déjeuner dans un coin paisible, au bord d’une retenue d’eau entourée de coteaux boisés, sous une couche de nuages immobiles. Un petit paradis silencieux où le temps s’écoule lentement. Dans l’après-midi, à Smolenice : une forteresse imposante domine la plaine depuis une éminence. Arrivée à Trstín, où je comptais dormir. Village sans attrait étiré le long d’une route sur laquelle, là encore, beaucoup de camions passent. Je demande à deux dames assises sur un banc où je pourrais loger pour la nuit. Elles ne comprennent pas l’anglais, ni l’allemand, ni le français. Je leur lance : “Hôtel”. Elles me répondent un truc du genre “Jablonitza” en m’indiquant la direction que de toute façon, j’envisageais de prendre.

J’avance en montant sans cesse, frôlé de temps à autre par un camion. Au bout de 4 km,  fin du stress : un embranchement me permet enfin de quitter l’axe principal. J’emprunte alors une voie qui s’enfonce dans la forêt. Au début, très agréable. Un amour de petite route semblable à une paisible départementale de la campagne française. Puis, avant Dobrá Voda, l’état de la chaussée se dégrade subitement. La route s’est muée en un chemin sérieusement défoncé. Ça monte sans cesse. Je dois par moments mettre pied à terre pour pousser le vélo. Un sentier agréable pour un randonneur pédestre peut s’avérer absolument infernal pour un cycliste. Alors que je progresse laborieusement, 5 biches environ surgissent des fourrés, une vingtaine de mètres devant moi. Gracieuses et rapides, elles disparaissent presque aussitôt. La forêt les a de nouveau avalées, et je reste seul sur mon chemin incertain à suer comme un forçat.

Arrivée à Dobrá Voda, petit village silencieux, dans une vallée, au milieu de champs entourés par la forêt. En slovaque, “Dobrá Voda” signifie “bonne eau”. Pause dans un bar sur la place de l’église. La patronne est souriante, mais ne parle apparemment que le slovaque. Je communique avec elle en mélangeant français, anglais et allemand pour commander de l’eau, une bière, un eskimo et deux gaufrettes. Dans le bar, 3 piliers, la cinquantaine, en mode veille. Après avoir bu ma bière d’un trait, je mange l’eskimo assis devant la fontaine du petit jardin public qui jouxte l’église. Comme dirait Charles : “Luxe, calme et volupté.”

Pas d’hébergement à Dobrá Voda. Je compte suivre le conseil de mon guide allemand et trouver une clairière pour planter ma tente, dans la forêt au-delà du village. Je reprends donc la route, armé de mon application GPS grâce à laquelle je repère les lieux susceptibles de convenir.

Dans ma tête depuis ce matin, L’Ostendaise de Jacques Brel, un rien adaptée aux conditions du terrain : “Il y a deux sortes de gens. Il y a les vivants, et ceux qui sont en vélo.”

Chemin dur, en pente à travers champs, du brutal sous un soleil irradiant. Je progresse à petits pas en direction de la forêt, sur un mélange de caillasse et de terre sablonneuse. Il faut une fois de plus mettre pied à terre et pousser le vélo. Un tracteur me rattrape et se gare à gauche, sur une parcelle devant moi. Un homme de cinquante ans au moins en descend avec son fils, un ado. Le paysan s’adresse à moi, je réponds en anglais que je ne parle pas le slovaque. Il commence à me poser des questions dans sa langue et son garçon traduit dans un anglais approximatif. J’ai droit aux classiques : “D’où viens-tu ?”, “Tu vas où ?”, “Depuis combien de jours roules-tu ?”, “Quelle est ta nationalité ?”. Puis, il me demande si je suis marié. Il voulait peut-être caser sa fille ! Je réponds par l’affirmative à la dernière question. Curiosité rassasiée, salutations cordiales du paysan, volte-face et séparation. Le chemin m’attend, je n’en ai pas encore tout à fait fini avec lui. Je franchis l’orée de la forêt. Vers 18 h, j’atteins une clairière indiquée sur ma carte. Stop ! Ici, exactement ce qu’il me faut. Je ne pédalerai pas un mètre de plus. Je plante ma tente et grignote un coup. Contemplation des alentours. C’est idyllique, comme un petit lac d’herbe vert clair encerclé par les hautes colonnes des arbres, perdu dans un pays de montagnes vert sombre et arrondies. Parfait !… À part les moustiques.

Mais, à l’autre bout de la clairière, je repère soudainement un 4×4 !

Un 4×4…

Les coins sans l’ombre d’un être humain se font décidément bien rares sur cette planète. Intrigué, je m’avance lentement d’une dizaine de mètres en direction du véhicule, je marque ensuite une pause, puis reprends la marche, suivie à nouveau d’une pause, etc. jusqu’à ce que j’atteigne la voiture. Elle est vide, garée sous le branchage de quelques arbres. De l’autre côté, au milieu des feuilles à trois mètres de hauteur, un abri de chasseur. Je suppose que quelqu’un s’y trouve, cependant personne ne se manifeste. À 70 m de là, j’aperçois au bout de la clairière une sorte de petite stèle en bois. Elle se trouve en pleine ligne de mire de la cahute. Je suis trop curieux, je m’approche de la stèle. C’est possiblement imprudent de ma part. Par terre, des grains de maïs, posés là sans doute pour appâter des bestioles. Je retourne vers l’abri. Le chasseur en sort enfin. Il veut bien entendu savoir ce que je fais ici et s’adresse à moi en slovaque. Je lui fais signe que j’ai pédalé et que je vais dormir sous ma tente. Il grommelle un truc en guise d’approbation et ferme sa porte. Je reviens à mon bivouac. Je l’entends au loin souffler dans un appeau. Tôt ou tard, ça va peut-être canarder. On verra bien.

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17 août 2016, Dobra Vodá – Trenčín

Finalement, pas entendu de coup de feu. En revanche, j’ai eu droit toute la nuit au clapotis de la pluie sur la toile de la tente, qui a bien résisté. Debout à 6 h. La prairie fume, éclairée par quelques rayons de soleil. Superbe. Et le 4×4 s’est volatilisé. Rempaquetage, petit déjeuner sommaire. À 7 h, c’est reparti. Chemin ardu en descente à travers la forêt. Ça regorge de flotte. Partout, des flaques, de la terre détrempée, des gouttes que les arbres m’envoient sur la tête. Bien après la fin de la pluie, l’eau continue de tomber en sous-bois.

Je quitte le royaume des arbres pour pénétrer dans un petit hameau entouré par les montagnes et surplombé d’un cimetière. Parmi les tombes, une seule arbore une étoile rouge à la place d’une croix. C’était un partinzansky sovietisky truc chose. Je poursuis ma route. De temps à autre, un joli château qui domine la vallée. Hier, du côté de Pezinok, le paysage me rappelait l’Alsace : une large plaine bordée par une chaîne de petites montagnes, avec des coteaux couverts de vignes. Là où je passe maintenant, c’est plutôt l’Aveyron. Petite route paisible, vallée encaissée, une rivière au fond et des deux côtés, des sommets arrondis.

Ravitaillement à Krajné. En Slovaquie, pas de village sans une épicerie (potraviny, en langage local), voire deux ou plus. Même chose en matière de bar. Je roule confortablement sur le bitume jusqu’à Nové Mesto, une commune de taille moyenne qui ne semble pas présenter un grand intérêt. À la sortie de la ville, sur la voie surplombant une autoroute, je passe devant un homme recroquevillé sur un petit carré d’herbe. Son corps sursaute sous l’effet d’un spasme. Cinquante mètres plus loin, un chat noir mort gît au bord de la chaussée, probablement balancé d’une voiture quelques heures plus tôt. Et encore derrière, un pont enjambe la rivière Váh, que je m’apprête à suivre jusqu’à Trenčín. Je prends une photo du cours d’eau. À ce moment précis, je repense au gars allongé. Peut-être est-il vraiment mal en point ? Pour la première fois de ma vie, je compose le 112. Une femme décroche le combiné et me parle en slovaque. Je lui réponds en anglais. Elle ne comprend rien, et ajoute : “Moment, moment.” Elle va quérir le collègue compétent, the right man for the job. Environ trois minutes plus tard, un standardiste me baragouine à l’autre bout du fil un truc approximatif en anglais. Ça va être laborieux… Je lui explique, toujours en anglais, ce que j’ai vu, peut-être que l’homme couché par terre a besoin d’aide. Mon interlocuteur ne pige pas un traître mot, pas plus que sa collègue. Au bout de plusieurs tentatives sans succès, j’en ai marre de pédaler dans la semoule à la crème anglaise et je bascule vers l’allemand. Tout à coup, l’éclaircie ! Il saisit bien mieux ce que je me tue à lui dire depuis deux ou trois minutes. Dans ce pays, il vaut mieux laisser tomber Shakespeare au profit de Goethe, on a plus de chances ainsi de faire passer le message. Quant à Molière, laisse tomber. Mon interlocuteur comprend désormais certes mieux, mais ne semble pas se faire de souci outre mesure. Il s’imagine sans doute que c’est juste un pochtron de plus qui roupille au bord de la route. Il n’a sans doute pas tort. Une fois le coup de fil terminé, je rebrousse chemin. Je constate alors que l’homme se relève tranquillement, retire son t-shirt et se recouche dans l’herbe. Il n’a finalement pas l’air en besoin d’assistance médicale immédiate.

Fin de l’intermède. J’emprunte un étroit chemin de terre en haut d’une digue qui court le long de la rivière Váh. La progression est un poil ardue, mais dans l’ensemble, ça va. J’atteins un passage à gué pour franchir un ruisseau. Plouf ! C’était inévitable, je plonge un pied dans l’eau. Plus loin, dans un village, pause dans un troquet où les fumeurs restent assis à l’intérieur alors que la terrasse est laissée libre pour moi !

Arrivée à Trenčín, au bord de la Váh. Un bien joli coin. Un château sur un roc domine la cité dont le cœur est occupé par une grand’ place allongée ceinte par des maisons Renaissance majestueuses. On s’active dur dans le secteur pour bâtir un nouveau pont. Un terrain de camping s’étend sur la majeure partie d’une petite île située en face du centre-ville. Patronne sympa. De là, on peut bien admirer le château. Je plante ma tente au soleil pour la faire sécher. On bricole ici aussi. Des gars venus de Tchéquie (me semble-t-il) montent une scène. Une fête se prépare. À quelques pas de là, des pagayeurs italiens logent dans une poignée de huttes. Plusieurs hommes traînent ensemble devant celles proches de ma tente. Je suppose qu’ils bossaient sur le pont et que leur journée est terminée. Tous torse nu. Ce ne sont pas des grands blancs comme la plupart des Slovaques. Plus courts sur pattes, bruns, râblés. Des Roms. Sur le chemin des toilettes, l’un d’entre eux me dit deux, trois mots à propos de mon vélo. Je lui réponds en anglais. Malheureusement, ça ne mène à rien. Le gars fait un sourire d’incompréhension et la conversation s’arrête là. Dommage.

J’espère que mes voisins roms ne vont pas faire de bruit jusque tard dans la nuit. Ils forment quand même un groupe de mecs plutôt jeunes, avec pas mal de testostérone dans l’organisme. Et ils n’ont pas l’air de faire partie du club de Scrabble du coin. Leur truc, ça serait plutôt les cartes. Cependant, ils devront probablement travailler à nouveau demain. Et, ils ne semblent pas portés sur la bouteille. On verra bien…

J’ai aussi croisé des Français qui voyagent en camping-car, originaires du 84. Le soir, alors que je me lave les dents à côté des toilettes, j’entends une Vauclusienne sous la douche qui s’exclame avec l’accent : “Oh ! Il y a de belles araignées.” Ces paroles me rappellent le toubib provençal qui annonce à Desproges que oh ! putaing ! c’est le cancer !

Ah oui !… j’oubliais. Aujourd’hui dans la tête alors que je pédalais, toujours Brel. Un mélange de la chanson où tous les enfants sont comme les vôtres et de celle du gaz  (rue de la Madone, c’est pas grand, mais y a de la place).

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18 août 2016, Trenčín – Žilina

Inspirons-nous de Francis Blanche : “C’est curieux cette manie chez les Roms de toujours vouloir parler.” Et fort, et jusque assez tard dans la nuit. Heureusement, après une journée de vélo, je suis bien fatigué, et pas grand chose ne risque de m’empêcher de dormir. Le château d’en face pourrait s’écrouler sans troubler mon sommeil.

Ce matin vers 6 h 45, les Roms ne sont pas encore levés. En fait, ils ne travaillent pas sur le pont, vu que j’entends déjà les bruits du chantier voisin. Leurs voitures portent l’immatriculation “VT”. Pas la porte à côté. Ils sont loin de chez eux, loin de Vranov nad Topľou, qui se trouve au Sud-Est du pays, de l’autre côté sur la carte par rapport à ici. J’ai lu sur le site allemand me fournissant toutes les infos pour mon voyage que bon nombre de Roms habitent là-bas. Selon le site, on trouve à la périphérie de Vechec, une commune voisine de Vranov nad Topľou, un bidonville du genre township sud-africain.

La nuit sous la tente a été frisquette ! J’ai les pieds un peu froids. Des gouttes d’eau ont glissé le long de la paroi intérieure. Mais, ça ira quand même. “Veux-tu que je te dise, gémir n’est pas de mise, au camping.”

Petit déjeuner sur l’île, avec une vue imprenable sur le château. Le soleil réchauffe mon corps en douceur, la journée se présente sous les meilleurs auspices. Cependant, le pain acheté hier pour accompagner ma tablette de chocolat est à l’ail ! Le mélange ail et chocolat produit un goût particulier sur les papilles. Mais l’important, c’est les calories.

Les Roms se lèvent vers 7 h 30. Première cigarette, petit déjeuner sommaire. À 8 h et quelques, ils partent. Moi aussi.

J’avance le long de la Váh sur un chemin de digue pas facile à négocier. Des gros cailloux et des trous remplis de flaques d’eau font gigoter le vélo et tout son barda. Ensuite, passage à la route. Malheureusement, pas une petite départementale avec deux voitures croisées par heure. Il s’agit une fois de plus d’une artère bien chargée, notamment par des camions, plus large que celle d‘après Trstín, et qui empeste aussi le diesel, de temps à autre. Je n’avais certes pas envie cette année de pédaler uniquement sur une piste cyclable plate, pépère et un peu monotone, mais je reconnais que ça serait drôlement plus agréable s’il y en avait plus dans ce pays nonobstant magnifique. Jusqu’à présent, j’ai eu le choix entre d’un côté une route, roulante et très empruntée par les voitures et les camions, et de l’autre, un chemin soit caillouteux, soit tout juste constitué d’une mini-bande de terre courant au milieu de l’herbe, ou alors carrément caché par les graminées, voire, dans sa version la plus cahoteuse, totalement défoncé et recouvert de flaques et de boue.

Emplettes dans l’épicerie d’un bled coupé en deux par la route. À Lednické Rovne, pause déjeuner à côté d’une verrerie, dans un parc somptueux, très vert. En son sein, une tour en ruine se niche au détour d’un chemin dans un bosquet (oh ! sehr romantisch !) et une chapelle blanche surmontée d’une coupole se dresse au milieu d’une vaste plaine herbeuse. Quasiment pas d’âme qui vive ici. Tout ce large espace s’offre à moi. Calme, sérénité, l’air circule. Impeccable.

Je repense au premier château que j’ai visité il y a deux, trois jours. Sur le palier d’un escalier étaient affichées des photos qui exposent différents aspects des lieux tel qu’ils se présentaient dans les années 70, 80 ou 90. Et à chaque fois, un cliché en regard pris en 2015 permet au visiteur de mesurer l’ampleur du travail de rénovation mené à bien depuis la chute du Mur de Berlin. Certains de ces chantiers sont visiblement financés par l’UE. Je note sur mon chemin la présence de nombreux panneaux arborant le drapeau aux étoiles sur fond bleu. Le niveau de richesse des territoires que j’ai traversés jusqu’à maintenant ne me paraît au fond pas si éloigné de celui de l’Europe de l’Ouest. Dans ce pays, tout ce qui doit fonctionner fonctionne, dans l’ensemble. C’est en tout cas mon impression actuelle, vu depuis la selle de ma bicyclette.

Mon vélo Dahon Speed TR est un bon grognard robuste. Grâce à ses 24 vitesses, il passe partout. On peut le plier facilement. J’arrive même à le caser sous la tente ! Vu que ses roues ne mesurent que 20 pouces de diamètre, je ne roule pas bien vite, par rapport à l’effort fourni. Tout le monde me double, absolument tout le monde, même les mémères qui se rendent à l’épicerie du village ! Mon barda me ralentit aussi pas mal. Au passage, les deux sacs de porte-bagages Ortlieb que m’a vendus mon camarade du volley-ball Arpad sont costauds et bien étanches. Un bon achat. Revenons à mon vélo. Il est peint en vert bouteille anglais. Très classe. Avec une couleur pareille, il est forcément parfait. Je croise parfois des dames d’un certain âge qui pédalent sur des modèles anciens de bicyclettes pliantes. Le principe ne date effectivement pas d’hier. Dans les années 80, je sillonnais le lotissement des Bas-Romains sur un Motobécane orange. Ici aussi, de l’autre côté du rideau de fer, il faut croire qu’ils produisaient un genre similaire d’engin, de la marque Eska. J’en ai vu quelques uns, verts ou orange, solides, sans dérailleur (je crois que mon Motobécane, lui, en avait un).

Mon chemin a longé beaucoup de montagnes aujourd’hui. Elles sont plus hautes dans la région. Je commence à naviguer au large du massif des Fatras. En plusieurs endroits, la Váh grossit jusqu’à produire des lacs somptueux. Avant Žilina, petite portion de chemin duraille et fatigant le long de la rivière. Mais au moins, je ne suis importuné par aucune voiture, ni camion. Les cuisses chauffent un peu sur les 15 derniers km avalés sur de l’asphalte, avec un trafic modéré. J’arrive enfin à Žilina, après 85 bornes de pédalage. Pas trop tôt. Je suis bien crevé, fourbu, moulu.

Dans la ville, pas évident de trouver une chambre, car le Rapid de Vienne joue ce soir contre le MSK Žilina. Une armée de policiers s’est postée sur les voies d’accès au stade situé à proximité de la gare. Après deux nuits passées sous la tente, je souhaitais dormir dans un hôtel ou une pension un peu chic. Pas possible, la ville a été prise d’assaut par plein de Viennois. Visiblement, le supporteur de foot autrichien ne rechigne pas à loger dans du cossu, du moment qu’il se trouve à proximité du stade. La réceptionniste d’une pension plutôt haut de gamme affichant complet essaie de ne pas me laisser planté sur le carreau. Bien sympathique de sa part, surtout que je me refuse à faire un km de plus aujourd’hui sur le vélo. Après plusieurs coups de fil infructueux, elle réussit à me dégoter un “hostel” de base à 23 euros la nuit, le Tavros, qui se trouve quasiment au bord de la voie ferrée. Là-bas, on fait dans le simple, le propre et le calme. Le peuple n’en demande pas plus. J’entends juste les trains manœuvrer et siffler de temps à autre. Ça me rappelle Barstow, en Californie. Pas mal de saisonniers, peut-être encore des Roms, logent ici. Je perçois des voix provenant de dehors aux intonations traînantes proches de celles d’hier, et qui prononcent des mots terminés par des voyelles.

Une fois mes quartiers pris, petite promenade au centre-ville. J’engouffre un burger au McDo. Oui, j’avais bizarrement envie d’aller dans ce genre de resto ; ça ne m’était pas arrivé depuis des lustres. Le centre commercial où se trouve la chaîne de fast food me paraît architecturalement… pas mal ! Moi qui en général évite ce genre de coin, ça me dépayse un peu.

La cité plongée dans l’obscurité du début de soirée m’a l’air charmante. Une longue rue piétonne partant de la gare débouche sur une grand’ place surplombée par une seconde grand’ place. Entre les deux se dressent les tours vert de gris de la cathédrale illuminées dans la nuit. Cela mérite le coup d’œil. La ville me plaît. Je suis fatigué. Demain, je prendrai une journée de pause à Žilina.

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19 août 2016, Žilina

Aujourd’hui, au km 224, pause à Žilina. Mon hostel se trouve dans le petit Barstow du coin, au bord d’une route traversant la zone industrielle. En face, une multitude de voies ferrées où des trains manœuvrent. J’entends depuis ma chambre les locos klaxonner, ce qui ne me dérange pas vraiment, en fait. L’hostel me convient. J’y reste pour dormir ce soir.

J’écrivais hier quelques remarques à propos de l’UE, en partie grâce à laquelle les communes de Slovaquie visitées jusqu’à maintenant présentent dans l’ensemble un visage plutôt soigné, y compris dans les zones d’immeubles. Certains bâtiments mériteraient néanmoins un coup de peinture : les églises. Au milieu de villages proprets, leur façade et leur toit donnent parfois des signes de fatigue.

Hier aussi, je ne manquais pas de dithyrambes à propos de mon vélo qui n’avance pas bien vite. C’est vrai qu’il est chouette. Cependant, quelques vitesses ne passent plus correctement. Par intermittence, j’endure une situation un peu éprouvante où tous les 20 m environ, la chaîne décroche. Clac ! Pendant une fraction de seconde, je pédale dans la semoule. Déplaisant. J’ai repéré la veille au soir quelques magasins de vélos. Ils pourront peut-être me sauver la mise.

À part ça, au programme aujourd’hui : sightseeing sans me presser dans le centre et quelques emplettes (provisions et peut-être clips solaires). Mais d’abord, petit déjeuner sur la grand’ place supérieure entourée de bâtiments Renaissance. Un strudel accompagné d’un cappuccino à 3,50 euros en terrasse, ma foi ! voilà de quoi rendre un Souabe aveyronnais picard heureux de bon matin. Je suis en Europe centrale : façades ravissantes aux couleurs pastel, influences croisées de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie. J‘aime bien. Passage dans l’église des Capucins, puis dans la cathédrale, toutes deux de style baroque. Les catholiques se sont imposés dans ce pays. Les protestants n’ont pas vraiment fait leur trou. Dans la cathédrale, petite chapelle décorée avec des images de saints et de papes. Les femmes représentées sont comme d’habitude vêtues très sobrement, alors que les papes portent à vrai dire des habits de clown. Jean-Paul II siège en bonne place, la Pologne se trouve à deux pas d’ici. En revanche, l‘actuel pape brille par son absence. Trop de gauche au goût de l’évêque du coin ? Dehors, une poignée de bustes d’illustres inconnus égayent la placette de la cathédrale. Règle généralement appliquée en Slovaquie : à chaque fois qu’on installe une statue, un buste ou une plaque, c’est pour entretenir la mémoire d’un personnage dont la renommée ne dépasse pas les frontières du pays. Ah si ! Une fois, j’ai quand même vu Franz Liszt et à une autre occasion, Rubinstein, bien que ni l’un ni l’autre ne fût slovaque.

En plus du strudel dégusté sur la grand’ place, je m’envoie plus tard dans la matinée un bon petit lángos à l’ail, fromage blanc et emmental râpé, une spécialité hongroise. Je le mange dans un parc où trône une statue. Sur le socle, un soldat russe (ou un partisan ?) l’air forcément sympathique vient rendre un enfant à sa mère. Une date : 30/04/1945. Les Allemands ont mis un sacré bout de temps à lâcher prise dans Žilina.

WC publics de la place du bas. Je descends l’escalier et pénètre dans l’espace réservé aux hommes. Pas franchement pimpant, mais on a vu pire. Cependant, pas de papier, nulle part. Au niveau de l’entrée, un petit local avec un guichet. Je m’y rends. Devant la vitre, un rouleau de PQ pendouille à un crochet. Et derrière, une dame pipi. Elle s’acquitte parfaitement de son boulot, vu sous l’angle de la littérature et des séries télé, exactement comme les polars le décrivent. Elle a un âge impossible à deviner, pas jeune en tout cas. Elle est grasse, moche, et ne fait rien de particulier, les fesses de son corps aux contours imprécis vautrées sur une chaise qui souffre. Je lui désigne du doigt le rouleau de papier toilette. Elle réagit en éructant un truc en slovaque. Je lui signifie en retour dans la langue anglaise que je ne comprends pas. Ça la fait réfléchir une seconde ou deux, le temps que son cerveau mette au point une réponse. Celle-ci arrive enfin, sous la forme d’un aboiement plus sec. Je quitte alors les lieux et traverse la place pour me rendre là où l’argent circule. Les WC du centre commercial d’en face sont propres et gratuits.

Fin d’après-midi. Je suis retapé, mon vélo aussi. Les vitesses refonctionnent à merveille, grâce aux doigts de fée du réparateur. Et le tout pour 11 euros. Ça aurait coûté, à mon avis, au moins le double à Stuttgart. Ici, tout est meilleur marché. Je suis prêt à repartir. J’aimerais bien atteindre Štrbské Pleso (Hautes Tatras) et faire une rando à pied pour m’approcher des sommets. Après, on verra bien.

Ce soir, j’ai une voisine. Encore une petite dame, pas bien jolie, plus vraiment jeune, mais pas encore vieillarde. En revanche, elle est gentille. Un peu simplette aussi. Elle m’adresse la parole et je fais signe, comme d’habitude, que je ne comprends pas. Elle s’obstine à me parler en slovaque, à me poser des questions. Son problème : la plaque électrique dans la mini cuisine commune à nos deux chambres ne chauffe pas bien fort. Par la suite, elle frappe à ma porte, puis l’ouvre sans attendre que je réponde et me tend sa zappette. Il faut que je lui montre comment elle marche. Elle revient à la charge encore plus tard. Je pense qu’elle veut savoir quand commencera une émission particulière. Je n’en sais évidemment rien. J’en profite pour lui montrer comment régler le volume.

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20 août 2016, Žilina – Lokca

Départ vers 7 h, je crois. Au début, une route de rêve : tranquille, pas de voiture. Juste une petite montée au début, qui est vite avalée. Après, encore mieux. Carrément une piste cyclable, une vraie de 20 km dans la vallée de la Bystrica. Et financée quasiment en entier par… l’UE. J’ai d’ailleurs encore vu nombre de pancartes avec le drapeau européen, qui informent à propos du financement de travaux. À Stará Bystrica, un bâtiment en bois et en pierre singulier, dont le toit fait des vagues, et orné d’une horloge solaire sur la façade. Avec aussi, une fois de plus, des statues de types pas très connus (par moi, en tout cas).

La piste cyclable suit le tracé d’une ancienne voie ferrée, le long d’une vallée. Au bout, un écomusée. En ce lieu-là se trouve aussi la gare d’un petit train à vapeur. Celui-ci grimpe vaillamment le long d’un tracé avec des virages en épingle pour atteindre un col. Il transporte pas mal de touristes avec des marmots (on est samedi). Je gravis la montagne en suivant un parcours relativement proche de la voie ferrée. Je ne vois pas la locomotive, mais j’entends de temps à autre son sifflet. La montée s’avère très éprouvante. Le bitume de la route est par endroit franchement dégradé, voire carrément absent. Il me reste alors à mettre pied à terre pour pousser le vélo sur les gravillons d’une pente raide.

Une fois le col atteint, le soulagement. Une tour d’observation de taille modeste se dresse non loin de la gare du haut. Les gens embarquent dans un autre petit train. Il se met en branle. Je ne vois pas où il part. Possible qu’il n’aille pas vers l’écomusée, car il y a aussi une station plus bas sur l’autre versant. Ma route passe par là. À partir de maintenant, je devrais essentiellement rouler en descente jusqu’à la fin de la journée. Vers 18 h, je me mets en recherche d’un endroit où planter ma tente. Première tentative, j’emprunte un petit sentier, mais ça ne donne rien de probant. Je fais demi-tour, puis repère un coin prometteur sur la carte. Mais, il faut pédaler encore une poignée de km. Je m’exécute et m’engage à nouveau sur un chemin. Il grimpe dur (tu parles que ça ne devait plus que descendre pour le reste du jour !). Je pousse mon vélo. Enfin, ça y est ! Je tombe sur le lieu idéal : une piste de ski éloignée de la route. Je passe devant une petite hutte en bois, puis monte à pied dans l’herbe pour m’approcher de la lisière d’un bois. J’y suis presque.

Et là, patatras !

Que se passe-t-il un samedi dans la cambrousse en fin d’après-midi ?

Eh bien, c’est simple. Les jeunes casse-pieds sont de sortie.

Dans cette catégorie de population, le mâle est particulièrement pénible. Il est agressif et bruyant, un peu comme les jeunes chiens qui beuglent derrière un grillage (seuls les vieux savent qu’il est inutile d’aboyer comme ça, que c’est juste une vaine dépense d’énergie). Mes casse-pieds en question sont au nombre de trois ou quatre. Ils ont soudainement fait irruption en quad et moto-cross et entreprennent de grimper le long de la même côte que moi. Cela produit une ambiance charmante : des abrutis montent et descendent à plusieurs reprises le long de la piste de ski assis sur leurs trucs puants et pétaradants, alors que je sue sang et eau au beau milieu de cette troupe pour atteindre le but que je me suis fixé. Cerise sur le gâteau, de la musique assourdissante avec des basses qui font vibrer les montagnes, de quoi accélérer brutalement le processus d’érosion, commence à se faire entendre depuis la hutte devant laquelle je suis passé. Je n’ai plus assez de forces pour redescendre et repartir à la recherche d’un autre coin. Je me planque dans une petite clairière. Protégé par un mur de sapins qui endossent le rôle de cordon sanitaire. Tant pis pour la vue imprenable sur la région alentour que je m’étais promise. Au bout de 25 minutes, un peu de répit. Les engins de malheur sont partis. Même la musique s’est tue. Je dîne en paix. Je m’aventure sur la piste de ski pour contempler le paysage éclairé par le soleil couchant. Il fait presque nuit. Le quad et les motos-cross ne reviendront pas. Je ne peux pas en dire autant de la musique… Je m’y attendais un peu. Ça matraque à nouveau. On va guincher et picoler dur toute la nuit dans la hutte. Certes, on dit saoul comme un Polonais. Mais, je suppose que les jeunes Slovaques doivent eux aussi bien se défendre dans cette discipline-là. C’est quand même les gusses du pays juste à côté. Comme je suis crevé, je pense que je vais malgré tout bien dormir. Ça ne sera peut-être pas plus gênant que les Roms de l’autre soir.

On verra bien…

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