Traversée des Alpes sur le E5

J1 : Oberstdorf – Kemptner Hütte – Holzgau (7 juillet 2017)

Temps variable. Orage de 15 min environ avant d’atteindre la Kemptner Hütte (1845 m). Nous croisons des gens sur le chemin menant au refuge. Au-delà, quasiment plus personne sur le E5. Nous buvons une bière à la Kemptner Hütte. Pas volée, celle-là. Puis, longue montée jusqu’à un col. Beaucoup de torrents. Passage dans le Tyrol à environ 2000 m d’altitude. Longue descente éprouvante de quasiment 3 h jusqu’à Holzgau (1100 m). Là aussi, beaucoup de torrents, de l’eau partout. Passage par un canyon. Chutes d’eau. Pont suspendu haut perché au-dessus de nos têtes. Arrivée à Holzgau. 9 h de marche avec des dénivelés conséquents. Trop pour une première journée. Chambre double et petit-déjeuner pour 28 euros par personne chez Mme Knitel, une gentille dame de 81 ans. Elle est née à Holzgau et a toujours vécu là. La seule fois où elle quitte son village, c’est à l’occasion de la traditionnelle sortie annuelle pour se rendre à Oberstdorf, dans la vallée d’à côté. Elle aime bien bavarder avec les gens de passage. Pas mal de villageois s’appellent Knitel. Je vois ce nom à plusieurs reprises affiché sur des enseignes, sonnettes, etc. Dîner au resto Zum Bären.

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J2 : Holzgau – Memminger Hütte (8 juillet 2017)

Départ à 7 h 50 de Holzgau. Long chemin de 14 km dans la vallée jusqu’à un monte-bouteille dans lequel nous embarquons. Arrivée en haut vers midi. Nous cassons la croûte. Puis, 800 m de dénivelé à franchir jusqu’à la Memminger Hütte située dans un décor idyllique à 2242 m d’altitude. Arrivée à 15 h. Nous devons attendre jusqu’à 18 h pour savoir où nous dormirons, vu que nous n’avons pas réservé. Nous buvons un coup en terrasse. Devant nous, un mur de montagnes majestueuses. Nous papotons avec deux Allemands de la région d’Ulm et un Danois accompagné de son fils de 15 ans. Nous engageons aussi la conversation avec une charmante demoiselle aux longs cheveux blonds originaire de Lindau, qui étudie en Autriche. Son visage me rappelle celui de l’actrice Kirsten Dunst. Elle est accompagnée de son ami, originaire de Turquie. Ils n’ont pas vraiment planifié leur voyage. Heri les conseille un peu. Leur vague projet initial s’en trouve un peu bouleversé. Mais, elle prend tout à la rigolade. Son objectif : se baigner à la piscine de Meran à l’occasion de son anniversaire (promesse faite par le copain) et ils n’ont qu’une poignée de jours devant eux pour l’atteindre. Elle a un côté espiègle désarmant. 18 h 00 sonnent. Nous nous renseignons. Nous avons de la chance, il reste deux places dans le dortoir. Heri va dormir entouré de lycéens qui font un voyage de fin d’année avec deux profs. Ils ont l’air plutôt calme. Le refuge est plein comme un oeuf. Il est difficile de trouver une place pour dîner. Nous nous asseyons à côté d’un petit groupe de volontaires du Deutscher Alpenverein. Ils sont ici pour effectuer des petites réparations dans le refuge. Nous discutons avec un des membres du groupe. Il dit que le E5 est devenu trop populaire. Beaucoup de monde débarque quotidiennement dans le refuge qui n’a plus la capacité d’accueil adaptée. Tous ces gens veulent parcourir le E5, alors qu’il y a plein d’autres chemins moins connus mais tout aussi jolis pour traverser les Alpes. Ce soir, il pleut dur et dru. Le temps variable qui règne dans le coin me rappelle celui de l’Islande : soleil, pluie, fraîcheur.

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J3 : Memminger Hütte – Zams (9 juillet 2017)

Nuitée dans le dortoir. Me réveille, me rendors, me réveille, me rendors, etc. Mais dans l’ensemble, pas trop mal dormi. À 5 h 30, deux personnes se lèvent. Elles sont vite imitées par plein d’autres. La masse critique de ceux qui font du bruit est vite atteinte. Plus la peine d’essayer de dormir. On avait prévu de se lever tôt de toute façon. Le refuge fonctionne comme une petite industrie. Il y a tellement de monde ici, probablement autour de 120 randonneurs. Mais, c’est une industrie qui fonctionne sans accroc, bien organisée, propre. Au programme du jour : descente de 2000 m pour passer d’un climat subpolaire à un autre plus estival dans la vallée de l’Inn (767 m). Notre destination s’appelle Zams. D’abord, montée dans la caillasse sous une pluie fine pour atteindre le col surplombant le refuge de Memmingen. Nous sommes beaucoup à être partis vers 7 h 15 et nous suivons à la queue-leu-leu dans une ascension lente et ardue. En haut, le col étroit ne laisse de la place que pour une personne à la fois. Ensuite, longue descente difficile sur des cailloux qui roulent sous la semelle. Nous sommes sans cesse obligés de freiner notre progression avec les bâtons pour réduire le risque de dérapage et de chute. Ciel maussade, pluie intermittente. Sur le chemin, j’échange quelques mots avec mes connaissances de passage (Lars le Danois et son fils, l’étudiante et son copain turc). Enfin, arrivée sur un assez long plateau, à mi-hauteur par rapport au but du jour. Le peloton se décante. Les plus rapides prennent le large. On entre dans une zone de conifères. Le chemin longe le lit d’un torrent qui grossit de plus en plus pour se jeter en bas dans l’Inn. Plus loin sur le plateau, un troupeau de vaches et un refuge/buvette où la plupart des marcheurs s’arrêtent. Je poursuis ma route et entame la seconde grosse descente du jour. Pas évidente non plus, car très longue, mais techniquement moins dure que la première. La forêt est toujours là. Je ne la quitterai qu’à la fin, une fois l’étape atteinte. Je marche sur des chemins escarpés, à flanc de ravin. Impressionnant. La vallée où je me trouve est étroite. Les montagnes plongent à pic dans l’eau. De l’autre côté du torrent, des murs immenses et verticaux de roche gris clair. Je touche enfin au but avec les 2 randonneurs de la région d’Ulm. Nous entrons dans Zams vers 13 h 10. Je crois que nous sommes les premiers à arriver de tout le contingent parti ce matin. Je trouve une chambre double pour 35 euros par personne à la pension Hubertus, laisse mes affaires là-bas, puis reviens m’installer sur un banc au bord du E5 pour attendre Heri. Pour tuer le temps, je tape mon compte-rendu du jour. 15 h 45, Heri toujours pas là. Je retourne à la pension pour me doucher. Puis, me voici à nouveau dehors pour voir si Heri arrive enfin. Des randonneurs continuent d’affluer. On se prend un orage de plus sur la tête. Il est virulent, celui-là. À 16 h 10, ça y est ! J’aperçois Heri venir à moi sous une pluie battante. Je l’accompagne jusqu’à notre chambre où nous reposons un peu. À 18 h, nous nous rendons au Post Gasthof Gemse, un bon local, malgré pas mal de mouches qui virevoltent à l’intérieur. C’est le seul resto ouvert ce soir. J’oublie que je suis végétarien et opte pour une cervelle de veau cuite au four. L’occasion de manger un mets pareil se présente rarement. Deux hommes demandent la permission de s’assoir à notre table. Ils sont amusants. Nous passons un bon moment avec eux. Randonneurs (l’un 59 ans, l’autre plus de 70), bons vivants, bavards, ils font en plusieurs parties une marche depuis Munich jusqu’à Nice via le lac de Garde. Après le resto, retour chambre et dodo mérité.

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J4 : Zams – Braunschweiger Hütte (10 juillet 2017)

Debout à 6 h 30. Nous embarquons dans le téléphérique qui monte au Krahberg à 8 h. Puis, environ 4 h à pied jusqu’à Wenns. 1 h avant, Heri laisse le E5 derrière lui et emprunte un autre chemin pour atteindre Wenns sans se presser. Il prendra là-bas le car en direction de Imst pour retourner ensuite à Oberstdorf. Nos routes se séparent, car Heri retravailler demain à Stuttgart. Dommage. On a passé du bon temps ensemble. Il me donne ses semelles avant de se quitter. J’ai constaté ce matin qu’il m’en manque une, pas bien compris comment une chose pareille a pu se passer. Oubliée à Stuttgart ? Je prends la voie directe vers Wenns. Temps nuageux. J’arrive à une station de bus à 11 h 50. À côté, un magasin de sport. Juste le temps d’acheter une lanière pour bien fixer mes lunettes sur mon nez et des nouvelles chaussettes. Je grimpe dans le bus pour parcourir 30 km de route dans la Pitztal jusqu’à Mittelberg. À l’arrêt suivant, un groupe d’une quinzaine d’écoliers de 11ème classe embarque avec ses 2 profs. On les avait déjà croisés à la Memminger Hütte. Ils viennent de Kempten. Vers 13 h, on débarque. Les lycéens font une pause casse-croûte. J’entame tout de suite une ascension de 3 h 30 dans un décor de rêve jusqu’à la Braunschweiger Hütte (2758 m). Retour vers un climat subpolaire. Des torrents gris clair déferlent dans la vallée. Grosses cascades impressionnantes. Le long du chemin sont disposés des câbles métalliques aux endroits où la pente est trop raide. La montée est dure, mais techniquement pas déplaisante. Sans petits cailloux roulants. Essentiellement, des gros rochers. Un peu avant l’arrivée, les lycéens et les 2 profs déboulent derrière moi comme un boulet de canon. Des vrais machines à randonner. J’ai l’impression d’être une 2 CV doublée par une Porsche. À deux pas du chemin, deux bouquetins nous observent. Plus ça monte, plus le décor devient sublime. Gros torrents bruyants, paysage austère, minéral, et peu avant le but de l’étape, des glaciers pointent le bout de leur langue. 16 h 10, arrivée à la Braunschweiger Hütte. Quasiment tout autour, des glaciers dominés par des sommets dépassant les 3000 m. Dans le refuge, je reconnais quelques visages. Je rediscute un peu avec les deux compères d’Ulm. Spaghetti bolo au dîner. J’essaie de papoter avec les gens assis à ma table, mais ils sont essentiellement dans l’entre-soi. Je récupère une chambre où nous serons 3 à dormir. Les deux autres camarades de chambrée exercent respectivement le métier de photographe et de journaliste. Ils travaillent sur un bouquin dont le sujet est le E5. L’un prend des photos pendant que l’autre interviewe des hôtes prenant leur dîner. 19 h 15, fait trop chaud à l’intérieur. Je me promène une dernière fois autour du refuge dans la fraîcheur du soir, histoire de méditer devant ce décor splendide. Devant moi, la langue de glace a la couleur grise d’une boule de mercure. Des gros nuages lourds stationnent au-dessus de nos têtes, mais pas d’orage ce soir. On entend de partout le fracas de l’eau des glaciers. Le vent souffle. Ça me rappelle l’Islande. Un coin somptueux pour des gens de passage saisis d’admiration, mais dans le fond pas vraiment un endroit à vivre. Un lieu surhumain. 20 h 48, encore un tour dehors, sur la terrasse cette fois-ci, pour prendre l’air (décidément trop chaud dans la salle à manger). Plus bas, une demoiselle sur une balançoire va et vient doucement au milieu de la brume ouatée. J’échange quelques mots avec un couple de lycéens qui se bécotent. Des gouttes commencent à tomber. Un orage s’annonce. Je me couche à 22 h. Les 2 personnes qui écrivent un bouquin sur le E5 aussi. On discute, ils sont sympa. Vers 23 h débarque un gars qui transporte du matériel d’escalade. Il essaie de ne pas faire trop de bruit. En revanche, quelques minutes plus tard, il ronfle bruyamment. Son ronflement commence tout doux, puis monte en gamme jusqu’à en faire vibrer la chambre entière et soudainement, s’arrête enfin. Une minute plus tard, le même cirque redémarre. Je ne m’imaginais pas qu’une personne ayant une morphologie d’escaladeur puisse produire un tel vacarme pendant son sommeil. Heureusement, il se lève et part très tôt, vers 3 h du matin.

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J5 : Braunschweiger Hütte – Vent (11 juillet 2017)

Départ du refuge à 6 h 25. Je m’égare un peu dans les gros rochers avant de retrouver le chemin menant au col Pitztaler Jöchel (2979 m). Deux gars m’ont remis sur les rails. Je les suis pendant l’ascension. Avant le col, vue panoramique saisissante sur une multitude de sommets. Devant moi, la Wildspitze (3768 m), point culminant du Tyrol. Des montagnes partout, une mer de montagnes qui font des vagues immobiles. Je suis au milieu des Alpes, loin des basses plaines, juste un petit bonhomme dans un tableau de Caspar David Friedrich. Descente difficile vers le bas des pistes de ski de Sölden. Pente raide, gros rochers. Certains passages ne peuvent être franchis qu’en s’agrippant à un câble métallique. Je vois au bout les bâtiments de la station. Décor bizarre. De la caillasse sombre sur laquelle s’active une pelleteuse, et des glaciers… en partie bâchés ! Pour éviter qu’ils ne fondent trop vite, je suppose. Étrange dispositif. J’arrive au pied des pistes. Des grands parkings gris anthracite, très sombres, et quasiment vides. J’ai l’impression d’évoluer dans un film en noir et blanc. Un peu derrière, un arrêt de bus. Il faut se laisser transporter pour traverser un long tunnel menant à un autre endroit de la station d’où l’on peut reprendre la randonnée. D’après le panneau d’informations, je vais devoir patienter dans ce désert de bitume quasiment une heure et demie avant le passage du prochain bus. Les deux camarades d’Ulm me rejoignent à ce moment-là. Nous sommes un peu contrariés de constater que l’attente sera si longue dans un coin pareil. Puis, miracle ! Un bus arrive subitement, alors qu’il n’était pas annoncé. Une fois passés de l’autre côté, le chauffeur nous dit que nous ne sommes pas obligés de payer. Les deux randonneurs d’Ulm et moi-même poursuivons la route ensemble le long du Panoramaweg qui s’accroche à flanc de montagne en longeant une longue vallée. De l’autre côté, des glaciers chapeautent en partie un massif de haute altitude qui nous domine pendant toute notre progression. Des torrents puissants s’en échappent et dévalent le long des pentes avec fracas. Les nuages et la brume vont et viennent, mais dans l’ensemble, le soleil brille sur les sommets pendant toute la matinée. Je quitte définitivement les deux compères qui font une pause et poursuis mon chemin seul jusqu’à Vent où je prendrai aujourd’hui mes quartiers. Je touche au but vers midi dix. Hébergement à la Pension Elisabeth, certes pour 40 euros, mais la chambre est la plus chic de la semaine jusqu’à présent, du niveau d’un bon hôtel. Je traîne dans le village. Visite d’une chapelle, promenade, emplettes. C’est l’après-midi et il pleut. Un classique depuis le début de la semaine : beau temps le matin, dégradation vers 13 h et précipitations jusque tard dans la nuit. Je me promène sous une forte averse et passe devant un enclos pour moutons ou peut-être pour des poneys. À l’intérieur, deux hommes se sont postés sous un préau à l’abri des gouttes. Détail rigolo, un panneau positionné devant eux précise : ne pas caresser, ne pas nourrir (risque de colique). Dans le “general store” du coin, j’ai repéré une fois de plus les lycéens de Kempten, qui s’approvisionnent avant de poursuivre leur route. Plus tard, devant le même magasin, l’étudiante originaire de Lindau et son copain me reconnaissent. Ils dorment ce soir dans la pension juste à côté de la mienne. Ils ont galéré hier peu avant la tombée de la nuit, sans pouvoir monter à temps vers la Braunschweiger Hütte, et ont dû donc camper en catastrophe dans la vallée à Mittelberg, sous une pluie glacée. Maintenant, leur retard est comblé. Et demain, nous aurons le même objectif : 7 h de marche pour rejoindre Vernagt dans le Südtirol et prendre le bus pour Meran. Nous ferons route ensemble. Départ de Vent prévu à 7 h 30. Je ne sais pas comment ils s’appellent.

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J6 : Vent – Meran (12 juillet 2017)

Debout à 6 h 45. Super petit-déjeuner à la Pension Elisabeth. Je pars à la rencontre de mes deux étudiants, qui logent à deux pas, dans la Pension Edelweiß. Ils en sortent avec 10 min de retard par rapport à l’heure convenue. Honorable pour des étudiants. Nous faisons plus ample connaissance. Elle s’appelle Lara et lui, Deren. Ils ont tous les deux bientôt fini leurs études – elle à Graz, lui à Karlsruhe – pour devenir chanteurs d’opéra. J’ai noté leurs coordonnées, au cas où, car ils sont en mesure de conseiller Madeleine dans ses choix d’orientation post-Abitur. Ils sont bien sympa et ensemble, nous allons faire la dernière étape jusqu’à Meran. D’abord, 2 heures et demie de montée pour atteindre la Martin-Busch-Hütte (env. 2500 m). Nous grimpons relativement vite, en prenant de très courtes pauses. Un bref arrêt devant le refuge avant de réattaquer l’ascension vers la Similaun-Hütte enveloppée de froid et de nuages, à 3017 m d’altitude. Il s’agit du point culminant de notre parcours entre Oberstdorf et Meran. Encore 500 m de montée raide. La température baisse sensiblement. Un dernier gros effort à fournir dans un cadre frisquet, vaste et minéral. Sur ma gauche, le sommet du Similaun. Doit pas faire bon s’y attarder, tout là-haut dans le vent mauvais. En léger contrebas, un paquet gigantesque de glace, et un peu plus loin vers le nord, un immense champ gelé d’un blanc éclatant. Nous atteignons un embranchement pour se rendre à la stèle qui marque l’emplacement où le fameux Ötzi fut découvert. Le corps quasiment intact de cet homme préhistorique pris dans la glace se trouve désormais exposé dans un musée à Bozen. La montée jusqu’au refuge est décidément bien ardue. La faim me tenaille l’estomac, mais nous avons convenu de manger au col. Vers midi trente, après un court passage sur un névé, nous y accédons enfin. Les nuages frôlent à vive allure les murs du refuge, poussés par un vent d’Italie. En léger aval de la Similaun-Hütte, nous avons franchi la frontière, qu’aucun panneau n’indique. Nous sommes maintenant dans le Südtirol, une région alpine germanophone que les Italiens ont chipée en 1920 aux Autrichiens, à la faveur du traité de Saint-Germain-en-Laye. Nous ouvrons la porte d’entrée. À l’intérieur, nous entendons pour la première fois de l’italien se mêler à de l’allemand. Lara, Deren et moi-même commandons un chocolat chaud. On ne l’a pas volé. Un vrai plaisir de le boire dans cette grande bâtisse en bois haut perchée dans le froid. Mon regard croise celui de gens aperçus dans les refuges précédents. Nous nous reconnaissons mutuellement. Un groupe d’écoliers italiens déjeune ici. Ils n’ont pas l’air du coin. Aucun d’entre eux ne parle l’allemand. Un des gamins pointe son doigt vers un Apfelstrudel en demandant ce que c’est. Le personnel du local jongle avec les deux langues. Lara feuillette les pages d’un Astérix écrit en dialecte tyrolien. Nous nous emmitouflons ensuite et nous postons dehors, dans un coin à l’abri du vent pour casser la croûte. Dix minutes plus tard, nous entamons la dernière descente de la semaine. Deux heures de marche, en passant d’abord par des champs de roche plongés dans la brume, puis dans les alpages et enfin à travers une forêt de conifères au bout de laquelle se trouve le lac de Vernagt. La première portion est un peu délicate à négocier. Nous passons au bord de longues colonnes sombres sur le sommet desquelles les nuées enveloppent des croix isolées. Un décor lugubre comme dans un film de Tim Burton. Mais, peu de temps après, nous voyons déjà le lac pointer le bout de son nez. Sa surface bleu émeraude baigne dans la lumière généreuse du soleil. En bas, c’est l’été. Courte pause dans les alpages. Puis, Deren entame la dernière portion de la descente au pas de course. Il se met littéralement à dévaler le long de la pente. Ses genoux souffrent sous le poids de son sac à dos trop chargé. Vers 15 h 10, nous quittons le sentier, et la grande étendue d’eau est enfin là, tout près, juste en face. Sourire aux lèvres, nous nous congratulons réciproquement, puis filons vers l’arrêt de bus du village de Vernagt. Prochain transfert pour Naturns prévu à 16 h 16. Nous attendons tranquillement, les fesses posées sur un banc, devant le lac. D’autres marcheurs croisés sur la route à maintes reprises depuis le début de la randonnée traînent aussi dans les parages. Comme nous, ils sont heureux d’être arrivés et attendent le prochain bus. Le voici enfin. Trajet dans une belle vallée encaissée. Parfois, le véhicule quitte la route principale et s’embarque sur des voies étroites en lacet à flanc de montagne. À chaque fois au bout du chemin, un petit village avec son église domine la vallée. Des grands-mères parlant le dialecte tyrolien embarquent dans le bus qui fait alors demi-tour pour rejoindre la route principale. Lara m’a dit plus tôt dans la journée que la langue des gens du coin ressemble au bavarois. Dans la pampa où nous nous trouvons, bien que les panneaux, pancartes, enseignes, infos diverses, etc. soient dans les deux langues (allemand et italien), il ne doit pas y en avoir beaucoup qui parlent italien. Les jeunes Sudtiroliens peuvent étudier à l’université d’Innsbruck en bénéficiant des mêmes avantages que ceux accordés aux Autrichiens. Terminus à Naturns. Problème : le train pour Meran ne viendra pas. La voie ferrée est en travaux. Le bus de remplacement non plus, car il vient de tomber en panne. Nous voici plantés à 15 km du but et personne ne peut nous informer. Les conducteurs de la société de transport croisés là n’en savent pas plus que nous. Avec Lara, nous nous disons l’un à l’autre avec un sourire entendu : “Bienvenue en Italie !” J’envisage un instant de joindre Meran à pied. Au moment où nous nous organisons avec d’autres randonneurs pour réserver un taxi de groupe, le bus de remplacement du bus de remplacement débarque soudainement. On s’y assoit avec le sac à dos sur les genoux, faute de place suffisante. Le véhicule transite par une large vallée couverte de vergers. Dehors, il fait environ 30 degrés. Des cyprès défilent derrière la vitre. Nous sommes entourés de montagnes, mais on sent déjà l’influence de la Méditerranée. 18 h, nous débarquons devant la gare de Meran. Ça y est, nous sommes enfin arrivés. Oberstdorf – Meran en 6 jours. Je fais mes adieux à Deren et Lara. Nos chemins se séparent ici. Il se rendent dans une auberge de jeunesse et moi, à l’hôtel Kolping. Nous avons passé tous les trois une journée de rêve. C’était chouette de toucher au but en leur compagnie. Je traverse rapidement le centre, fais quelques emplettes, me prends au passage un petit peu de pluie sur la tête – un épisode de courte durée, avec à la clef un joli arc-en-ciel -, j’entre dans l’hôtel, file sous la douche et dîne enfin tranquillement sur le mini-balcon de ma chambre. Un doux soleil déclinant éclaire Meran. Plus tard, petite balade en ville. Cette cité est ravissante, ambiance chic, mondaine, des thermes. Très agréable à visiter à pied en flânant le long de la rivière ou dans une zone piétonne où des touristes parlant l’italien ou l’allemand se promènent avec nonchalance. Des gamins mangent une glace sous les arcades. L’air est doux. Odeurs de bars à bière et de pizza. Une ville de culture allemande sur laquelle les Italiens ont exercé leur influence. Sur le chemin de l’hôtel, j’ai vu un panneau qui propose d’agir contre le supposé fascisme culturel consistant à donner à des lieux des noms italiens qui n’ont pas de rapport avec ceux écrits à l’origine en allemand. La province de Bozen bénéficie néanmoins d’un régime d’autonomie et le Südtirol est maintenant relativement apaisé. Il n’en a pas toujours été ainsi : déportations sous l’ère Mussolini, attentats perpétrés par les séparatistes à Bozen dans les années 70. En tout cas, on sent que Meran a été plus italianisée que les villages montagnards de la campagne environnante. Cela ne surprend guère. Retour à l’hôtel. Dodo à 23 h.

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J7 : Meran – Stuttgart (13 juillet 2017)

Super petit déjeuner. Du raisin ! Des cerises ! Je remange des fruits. Train Meran – Bozen à neuf heures moins le quart. J’achète une carte postale juste avant d’embarquer. Je déambule ensuite une petite heure dans les rues de Bozen avant de grimper dans le Vérone – Munich. Bozen : beaucoup de points communs avec Meran, en plus grand. Des jolies places, des terrasses, une artère bordée d’arcades. Architecture germanique… italienne… italo-germanique, et un beau soleil dans le firmament. À environ 10 h 40, l’express entre en gare. Sur le quai, aucun passager ne sait où se trouve son wagon. Pas d’info à ce propos nulle part. Les charmes de l’Italie… À midi, arrêt à Brenner, juste avant la frontière avec l’Autriche. Des militaires et des policiers italiens se tiennent sur le quai. Certains d’entre eux montent à bord. Ils repèrent deux Noirs cachés dans les toilettes situées au bout de mon wagon. Ils sont rapidement débarqués sans violence. Quelques minutes plus tard, le train repart. Cette fois-ci, des douaniers autrichiens nous rendent visite pour contrôler nos papiers. Je sors ma carte d’identité allemande, histoire de voir comment va réagir la douanière quand elle verra un nom français inscrit dessus. Mes longues jambes, mes yeux gris bleus et mon visage sévère suffisent à la convaincre. Elle regarde à peine ma carte d’identité. Nous passons par un tunnel nettement moins long que je ne l’avais initialement imaginé, et me voici de retour dans le Tyrol. Après Kufstein, nous franchissons la frontière avec l’Allemagne. Là encore, un Noir traverse notre wagon accompagné de deux policiers. Sur la gauche, le Wendelstein nous domine. Correspondance à Munich pour Stuttgart. Une emmerdeuse assise proche de moi, visiblement chef de ne je ne sais quoi, passe son temps à blablater sur son téléphone en Denglish trop fort. Même son ordinateur fait un horrible boucan – ding ! ding ! – quand elle rate une manoeuvre. Je change de place. Toujours sur le même sujet, vu à Meran, à trois reprises : une personne téléphone en tenant son smartphone horizontalement à une dizaine de cm du visage. Le haut-parleur est à fond et quand le possesseur du portable a la parole, il beugle. Arrivée à Stuttgart sous un beau ciel bleu vers 17 h 45. Je retrouve Elisabeth et les enfants au kébab de Gaisburg.

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