Le dos rond

Du lundi au vendredi, vers 11 h 00, l’homme gare sa voiture en face de l’abri anti-aérien – à cette heure-ci, il y a toujours de la place – , puis il sort du coffre un tabouret en bois et vient le poser à quelques mètres de la porte blindée du gros bloc en béton inoccupé. Il reste assis un quart d’heure environ, en faisant face au sud-est. Il ne médite pas. Son visage tendu arbore une mine grave. Certains jours, il se penche d’office vers l’avant. Son dos de cinquantenaire bedonnant forme comme une carapace de scarabée. Toute son attention se fixe alors sur l’écran de son smartphone, il ne le quitte pas des yeux, et le temps s’écoule lentement. D’autres fois, il garde la tête droite et laisse son regard se noyer dans le vide. Au terme des quinze minutes, il se lève, se déplace de quelques pas et vient s’assoir sur le banc installé à l’angle de la rue. Là, à côté de son tabouret vide, il souffle enfin, comme un coureur qui laisse la pression tomber progressivement, une fois la ligne d’arrivée franchie. Les nuages surgissent de derrière le coteau et filent à vive allure vers l’amont de la rivière. Le visage souriant de l’homme baigne dans la lumière douce d’un soleil printanier. Au bout de quelques minutes d’oisiveté béate, il se lève à nouveau, retourne lentement à sa voiture et range le tabouret dans le coffre. Le moteur redémarre. Le véhicule se dirige vers la rivière, tourne à gauche pour s’engager dans la rue d’en bas et disparaît. Clap de fin. Demain, il reviendra.